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Les Très Riches Heures du duc de Berry - 3

Les huit grandes miniatures exceptionnelles[

Huit miniatures ont été insérées dans le manuscrit sur des feuillets isolés sans appartenir à l'origine à un autre cahier du livre. Paul Durrieu les repère et les qualifie d'« exceptionnelles » dès sa publication de 190437. Elles sont toutes plus grandes que les autres et ne comprennent aucun texte, ni à côté de la peinture, ni au verso. Lorsque du texte est présent, il a été ajouté par une autre main — sans doute celle de Jean Colombe — dans les années 1480. Leur disposition sur la page est à chaque fois originale et décalée par rapport au reste du manuscrit. Enfin, elles ne s'insèrent pas véritablement dans le plan du livre d'heures. Paul Durrieu pense même qu'à l'origine elles n'étaient pas destinées aux Très Riches Heuresmais qu'elles ont été commandées aux frères de Limbourg pour un autre manuscrit38. Elles ne sont d'ailleurs pas signalées dans l'inventaire après-décès du duc en 1416. Les thèmes développés dans ces enluminures sont surtout inspirés de l'Antiquité ou de l'Italiec 25.

L'Homme anatomique, folio 14

L'Homme anatomique, f.14.

Cette miniature prend place à la fin du calendrier. Un tel thème, ne se retrouve dans aucun autre livre d'heures de cette époque. Elle représente l'influence des astres sur l'homme. Il se peut qu'elle soit inspirée d'ouvrages traitant de médecine ou d'astrologie. Plusieurs manuscrits avaient déjà représenté comme ici un homme dont les différentes parties du corps sont reliées à un des douze signe du zodiaque. L'originalité tient ici dans le dédoublement de l'homme et la double mandorle qui l'entoure, dans laquelle sont reproduits à nouveau les signes du zodiaquec 26.

Dans chaque coin supérieur de la miniature sont peintes les armes du duc de Berry : « trois fleurs de lys d'or sur fond d'azur avec bordure engrêlée de gueule ». Dans chaque coin inférieur, est placé le chiffre « VE » ou « UE » enlacés. Ces lettres ont fait l'objet d'interprétations diverses : il s'agit soit d'une allusion aux premières lettres d'une devise du duc« En Vous » ; soit d'une allusion à la première et dernière lettre du nom « Ursine ». Ce nom fait lui-même l'objet d'une double interprétation : soit saint Ursin, le patron du duché de Berry, soit le nom d'une maîtresse que le duc aurait connu en captivité en Angleterre. Ce nom se retrouve dans des symboles héraldiques parlants qui parsèment à plusieurs reprises les marges du manuscrit : l'ours et le cygnec 26,39.

Chaque coin est complété par quatre inscriptions latines décrivant les propriétés de chaque signe selon les quatrecomplexions (chaud, froid, sec ou humide), les quatre tempéraments (colérique, mélancolique, sanguin et flegmatique) et les quatre points cardinaux : « le Bélier, le Lion et le Sagittaire sont chauds et secs, colériques, masculins, orientaux » en haut à gauche ; « le Taureau, la Vierge et le Capricorne sont froids et secs, mélancoliques, féminins, occidentaux » en haut à droite ; « les Gémeaux, le Verseau et la Balance sont chauds et humides, masculins, sanguins, méridionaux » en bas à gauche ; « le Cancer, le Scorpion et les Poissons sont froids et humides, flegmatiques, féminins, septentrionaux » en bas à droite. La miniature, datant d'avant 1416, est attribuée à l'un des frères de Limbourg40,c 26.

Le Paradis terrestre, folio 25[

Le Paradis terrestre, f.25.

Sur une seule et même miniature de forme ronde, située dans les Oraisons de la Vierge, sont représentées quatre scènes : de gauche à droite ; un serpent au corps de sirène tend à Ève le fruit de l'Arbre de la connaissance du bien et du mal ; Ève offre le fruit à Adam ; Dieu punit Adam et Ève, qui sortent du Paradis et prennent conscience de leur nudité en se couvrant d'une feuille de vignec 27.

Parmi les sources d'inspiration, la figure d'Adam, à qui Ève donne le fruit défendu, est souvent identifiée à la statue d'un Perse agenouillé conservée à la galerie des Candélabres desmusées du Vatican. Les frères de Limbourg ont déjà représenté un Adam dans la même position dans le folio 3 verso de la Bible moralisée de Philippe II de Bourgogne (1402)ms 16. Au centre de la composition, se trouve un monumental dais de style gothique, surmontant unefontaine de jouvence41. Pour le dessin d'ensemble, on peut établir une relation avec le bas-relief de la porte du baptistère Saint-Jean (Florence) par Lorenzo Ghiberti. Selon Meiss, la miniature est l'œuvre de Jean de Limbourg, « Limbourg C » selon Cazellesc 27.

La Rencontre des mages, folio 51

La Rencontre des rois mages, f.51.

Cette miniature, placée dans les Heures de la Vierge, est peinte sur un parchemin un peu plus épais que le reste du manuscrit. Ce thème iconographique provient de l'ouvrage La Légende des rois mages de Jean de Hildesheim, écrit au xive siècle. Chaque roi dirige un cortège. Les trois groupes prennent la direction d'un édicule situé au centre, appelé aussi « montjoye », surmonté de l'étoile. Les rois mages ne représentent pas les trois continents, comme c'est le cas dans la Légende dorée, mais les trois âges de la vie : l'adolescent, l'homme et le vieillard. Gaspard, le jeune en haut à droite, est suivi de deux personnages noirs, comme le veut une tradition iconographique italienne. Balthasar, l'homme, est placé à gauche et Melchior, le vieillard, en bas à droite. Ce dernier possède la même couronne que l'empereur Auguste représenté au folio 22. Par ailleurs, divers animaux sauvages sont peints : des guépards, un lion, un lézard ainsi qu'un ours, symbole du duc de Berryc 28.

Plusieurs historiens ont fait le lien entre l'inspiration orientale de ces personnages ou animaux et la visite à Paris de l'empereur byzantin Manuel II Paléologue en 1400, que les frères de Limbourg ont peut-être eu l'occasion de voir42. Le mage de gauche est la copie presque exacte d'un revers d'une médaille byzantine représentant l'empereur Constantin à cheval, acquise par le duc de Berry en 1402 auprès d'un marchand italien et mentionné dans un de ses inventaires16. La ville en haut à gauche est censée représenter Jérusalem mais elle reprend plusieurs monuments parisiens : Notre-Dame de Paris, la Sainte-Chapelle et peut-être une partie du palais de la Citéc 28.

L'Adoration des mages, folio 52

L'Adoration des mages, f.52.

À droite de la miniature sont représentés les rois mages ainsi que leur suite. Ayant enlevé leur couronne, les trois rois sont prosternés : l'un — Melchior — baise les pieds du Christ, le deuxième — Balthasar — embrasse le sol, comme dans le livre de Jean de Hildesheim, et le troisième — Gaspard — porte son présent. En même temps que les mages sont représentés, les bergers sont eux-aussi en adoration devant l'Enfant Jésus. Ils sont présents l'un à côté de la Vierge, les autres derrière la crèche, leurs moutons paissant sur les collines à l'arrière. Les jours de Noël et de l'Épiphanie sont ainsi représentés simultanément sur la même image. La Vierge est entourée de femmes habillées en costumes à la mode du début du xve siècle. La ville à l'arrière, censée représenter Bethléem, reprend peut-être l'apparence de la ville deBourgesc 29.

La disposition des personnages autour du Christ a été rapprochée d'une scène d'adoration des mages représentées sur un retable actuellement conservé au Museum Mayer van den Bergh d'Anvers (inv.2, vers 1395). Outre le fait que ces personnages se présentent dans la même position autour du Christ, le roi mage à gauche de la Vierge, transformé en saint Joseph par les Limbourg, tient dans ses mains la même pièce d'orfèvrerie en forme de corne, forme relativement rare à l'époque43. D'après le style, le peintre de cette Adoration ne serait pas le même que celui de la Rencontre. Meiss l'attribue à Paul de Limbourgc 29.

La Purification de la Vierge, folio 54

La Purification de la Vierge, f.54.

D'après l'Évangile selon Luc, le moment de la présentation de Jésus au Temple correspond à la cérémonie de purification de sa mère, quarante jours après sa naissance. Ce feuillet a été placé dans les Heures de la Vierge au début de none, mais aurait tout aussi bien pu se trouver dans les Heures de l'année liturgique, avant l'office de la Chandeleur situé au folio 203c 30.

La Vierge tient le Christ dans ses bras ; une auréole émane de sa tête et se mêle à celle de son fils. Elle est suivie de Joseph et d'un cortège de personnages. Une servante, seule sur les marches, assure la transition avec le grand prêtre situé plus haut. Elle porte les deux colombes offertes en sacrifice, ainsi qu'un cierge alluméc 30.

Par sa composition, la miniature peut être rapprochée d'une fresque de la basilique Santa Croce de Florence dans la chapelle Baroncelli, attribuée au maître de la Chapelle Rinuccini (autrefois attribuée à Taddeo Gaddi). L'escalier y est presque identique, ainsi que l'expression de certains personnages. Une reproduction sous forme de dessin est aujourd'hui conservée aumusée du Louvre. Selon l'historien de l'art allemand Harald Keller44, le dessin aurait pu servir de modèle aux frères de Limbourg, mais cette hypothèse a été mise en doute par Meissc 30.

La Chute des Anges rebelles, folio 64

La Chute des anges rebelles, f.64.

Cette miniature se trouve au tout début des Psaumes pénitentiaux. Pourtant, cette scène n'est pas évoquée dans cette partie de l'Ancien Testament mais seulement dans quelques passages du Nouveau Testament. Il s'agit de la révolte de Lucifer contre Dieu et, plus précisément ici, de sa défaite et de sa chute entraînant des légions d'anges avec luic 31.

Le Seigneur, assis sur un trône, domine la scène. Il tient le globe de sa main gauche et, de sa main droite, indique le jugement de Lucifer. Les anges fidèles se tiennent à ses côtés, assis dans des stalles que les anges révoltés ont laissées vides. La milice de Dieu, bardée de casques et de cuirasses et armée d'épées, précipite les anges rebelles dans l'abîme. Lucifer est représenté tout en bas, entouré d'un halo formant comme une anti-auréole, mais toujours pourvu de ses attributs d'ange, la couronne et l'étolec 31.

Cette iconographie, très rare dans un livre d'heures, a pu être inspirée par un panneau sur bois appartenant à un retable datant de 1340-1345, provenant de Sienne, attribué à un peintre anonyme surnommé le Maître des anges rebelles, et actuellement conservé au musée du Louvre45. La principale différence réside dans le fait que les anges du panneau siennois prennent l'apparence de démons. Cette miniature est l'œuvre de Paul de Limbourg selon Meiss, de « Limbourg C » pour Cazellesc 31.

L'Enfer, folio 108

L'Enfer, f.108.

Cette miniature est placée à la fin de l'Office des Morts. Elle est inspirée d'un texte du milieu duxiie siècleLes visions de Tondale, récit d'un moine irlandais dénommé Marcus décrivant une vision de l'enfer et qui a fortement influencé l'imaginaire médiévalc 32,46.

Au centre de la composition, Satan est allongé sur un gril gigantesque d'où il saisit les âmes pour les projeter vers le haut par la puissance de son souffle brûlant. Des flammes sortent de lucarnes ouvertes dans les montagnes tourmentées se dressant à l'arrière-plan, où l'on aperçoit d'autres âmes damnées. Au premier plan, deux diables attisent le feu sous le gril à l'aide de trois grands soufflets. D'autres démons font subir des sévices aux hommes qui ont mal vécu, y compris un religieux tonsuré qui porte encore ses vêtements sacerdotauxc 32.

Selon Meiss, la place de cette miniature aurait été prévue entre l'office de la Trinité et le petit office des morts, soit entre les feuillets 113 et 114. Jean de Limbourg en serait l'auteur. Cependant, comme les autres miniatures exceptionnelles, elle aurait tout aussi bien pu ne pas être peinte pour ce manuscrit. Il s'agirait de « Limbourg C » selon Cazellesc 32.

Le Plan de Rome, folio 141

Le Plan de Rome, f.141.

La miniature, de forme ronde, s'insère entre les Offices de la Semaine et les Heures de la Passion. Sans aucun lien apparent avec cette partie du manuscrit, elle était peut-être destinée à illustrer, à l'origine, un Office de saint Pierre et saint Paul, tous deux martyrisés à Rome. Ce plan de la ville éternelle est réalisé comme une vue à vol d'oiseau, avec le nord en bas et le sud en haut. Ne sont représentés que les monuments antiques ou chrétiens, sans aucun bâtiment résidentiel ni aucune rue. Le plan semble centré sur le Capitolec 33.

C'est une tradition antique de réaliser des cartes de formes rondes, tradition qui se poursuit tout au long du Moyen Âge. Ce sont surtout les mappemondes qui sont représentées ainsi mais beaucoup moins fréquemment les plans de villes. Le duc de Berry lui-même possédait plusieurs mappemondes de cette forme. Symboliquement, la ville de Rome renvoie au monde et le monde renvoie à la ville47.

Il existe plusieurs œuvres en rapport avec ce plan. En premier lieu celui peint par Taddeo di Bartolo au Palazzo Pubblico deSienne, dans la série de fresque des Allégories et figures de l'histoire romaine (1413-1414). Meiss a retrouvé un autre plan de Rome très proche, mais représentant plus de monuments, dans un manuscrit de la Conjuration de Catilina de Salluste, attribué au Maître d'Orosems 17 datant de 1418. Cependant, Meiss ne pense pas qu'il y ait une relation directe avec celui des Très Riches Heures, mais plutôt une influence par le biais d'œuvres intermédiaires aujourd'hui disparuesc 33. Un autre plan de Rome proche de celui des Très Riches Heures a été identifié dans un manuscrit du xive siècle du Compendium de Paolino da Venezia (f.98)ms 18,48.

Une autre hypothèse voit dans le centre du plan des Très Riches Heures, la basilique Sainte-Marie d'Aracœli, située sur le Capitole : cette église serait située sur le lieu où la Vierge et l'Enfant seraient apparus à l'empereur Auguste, scène de prédilection du duc de Berry : elle se retrouve dans les Heures du Maréchal Boucicautms 19, dans les Belles Heures(f. 26v)ms 1 ainsi que dans les Très Riches Heures (f. 22r). Le duc vouait en effet une admiration à l'empereur et aimait être comparé à lui47. La miniature est de Jean de Limbourg selon Meiss, de « Limbourg C » selon Cazellesc 33.

Interprétation de l'iconographie

Les sources d'inspiration[

Les Frères de Limbourg et leurs continuateurs ont travaillé sur le manuscrit en France, à Paris ou à Bourges sans doute, et se trouvent ainsi à l'époque au croisement entre l'influence de l'art des Pays-Bas et celui venu d'Italie. L'influence des Pays-Bas peut sembler évidente quand on sait que les frères de Limbourg sont originaires de Nimègue, alors dans le duché de Gueldre. Cependant, il est difficile de distinguer dans les Très Riches Heures une influence directe de l'art des provinces du nord. Parmi les rares œuvres de cette époque que l'on peut rapprocher du manuscrit, un retable, actuellement conservé aumusée Mayer van den Bergh, présente des similitudes avec certaines scènes peintes par les trois frères. Il provient de larégion mosane ou du sud des Pays-Bas et prend la forme d'une tour, présentant des scènes de l'enfance du Christ49. Les Limbourg ont peut-être pu observer cette œuvre à l'occasion d'un passage dans le Brabant où le retable semble avoir été conservé. Mais il reste difficile trouver des traces d'autres œuvres nordiques ayant pu inspirer les Limbourg43.

Exemples d'œuvres italiennes ayant pu influencer certaines miniatures des Très Riches Heures

Ce n'est pas le cas en revanche des sources d'inspiration italienne. Elles sont relativement abondantes dans plusieurs miniatures. Outre celles déjà citées, on note par exemple une influence du retable Orsini peint par le siennois Simone Martini dans plusieurs scènes de la Passion du Christ des Très Riches Heures : Le Portement de la croix (f.147), ou encoreLa Descente de croix (f.156v). L'influence italienne est tellement évidente que pour Meiss, l'un des trois frères, peut-être Paul, a fait le voyage en Italie, et ce par deux fois. Cependant, l'influence des œuvres italiennes se fait essentiellement à travers certaines compositions et certains motifs, notamment dans la position des personnages ou des animaux. Si les frères de Limbourg avaient véritablement été confrontés à des œuvres italiennes, l'influence aurait été ressentie jusque dans les modelés des figures ou des draperies. Sans avoir traversé les Alpes, les trois frères peuvent tout à fait avoir été influencés par des croquis ou dessins rapportés de là-bas, des manuscrits enluminés ou par quelques panneaux peints italiens déjà présents en France à l'époque50.

L'identification des personnages et des symboles

Dès les premières études, les iconographes ont tenté d'identifier des personnes ayant existé dans les personnages des enluminures et notamment dans ceux du calendrier. Lors de sa première observation du manuscrit, le duc d'Aumalereconnaît Jean de Berry dans la miniature de janvier et par la suite, de nombreux chercheurs ont tenté d'identifier d'autres personnages. Mais autant la première identification n'a jamais posé de problème, autant les autres n'ont jamais permis d'accorder les historiens de l'art entre eux51. Les tentatives d'identification se sont multipliées au sujet de la miniature de janvier, mais aussi pour celles d'avril, de mai et d'août, car beaucoup de scientifiques pensent que les personnages devaient être connus des personnes amenées à consulter l'ouvrage au xve siècle. La tentative la plus affirmée est celle de Saint-Jean Bourdin pour qui chaque scène correspond à un événement précis de l'histoire de Jean de Berry, tel un album de famille ; mais les universitaires ont presque tous repoussé ses identifications, soulignant des incohérences de générations et de dates52.

De plus en plus d'historiens de l'art ont tenté de se défaire de cette vision, selon eux insoluble, de l'ouvrage pour rechercher une explication de cette représentation réaliste des personnages. Pour Erwin Panofsky, cette représentation est à mettre en perspective avec la tendance, toujours plus affirmée dans le courant du xve siècle, des artistes à verser dans lenaturalisme53. Cependant, selon des études plus récentes comme celle de Stephen Perkinson, cette explication quelque peu téléologique de l'histoire de l'art doit être mise de côté pour une explication plus en phase avec les mentalités des peintres de cour à cette époque54.

Selon Perkinson, l'identification d'un personnage à cette époque se faisait, non pas par la représentation réaliste d'un visage, mais bien davantage par tout un ensemble de signes para-héraldiques, tels qu'ils ont été définis notamment parMichel Pastoureau55. L'étude de ces signes permet ainsi de reconnaître des messages politiques contenus dans certaines miniatures. Lorsque les soldats, qui accompagnent le Christ dans sa Passion (folios 143, 146v et 147), portent en sautoir la croix blanche de Saint-André, signe de ralliement des Bourguignons lors de la guerre de Cent Ans, c'est un moyen pour le duc de Berry, chef du parti adverse des Armagnacs de désigner ses ennemis comme les ennemis de Dieu14.

L'entourage du duc ou ses artistes pouvaient facilement distinguer ces signes à l'époque, mais ils nous restent profondément obscurs aujourd'hui : la couleur d'un habit, les motifs d'un costume, les décors d'une tenture, la devise partiellement inscrite. Autant de signes volontairement obscurs car réservés à quelques happy few se voulant proches du duc et seuls capables de distinguer ces symboles. Seul le portrait de Jean de Berry est réaliste car c'est le commanditaire de l'ouvrage et patron des artistes. Un portrait réaliste des autres personnages n'était donc pas nécessaire, mais seulement accessoire parmi les nombreux signes permettant de les identifier. Pour autant, rien ne nous dit jusqu'à présent que ces personnages pourraient être identifiés formellement. Cet ensemble de signes complexes et difficilement déchiffrables est un moyen pour les frères de Limbourg de montrer leur familiarité avec le duc et sa famille ainsi que leur fidélité envers leur commanditaire56.

Les représentations architecturales

Plusieurs miniatures représentent de manière très détaillée des bâtiments contemporains des Très Riches Heures, à tel point que Panofsky parle de « portraits architecturaux »53. Neuf peintures du calendrier représentent des châteaux, dont huit ne font l'objet d'aucune contestation dans leur identification : le château de Lusignan pour le mois de mars, le Châteletet le palais de la Cité pour mai, le palais de la Cité en juin, le château de Poitiers en juillet, le château d'Étampes en août, lechâteau de Saumur en septembre, le château du Louvre en octobre et le château de Vincennes en décembre. D'autres bâtiments sont identifiables dans les autres miniatures du manuscrit : c'est le cas par exemple de plusieurs bâtiments dePoitiers dans L'Annonce aux bergers (f.48), une vue de Paris dans La Rencontre des rois mages (f.51v), la façade de lacathédrale Saint-Étienne de Bourges dans La Présentation de la Vierge au temple (f.137), le château de Mehun-sur-Yèvredans La Tentation Christ (f.161v) et enfin le Mont Saint-Michel dans La Fête de l'Archange (f.195)c 34.

Exemples de miniatures des Très Riches Heures représentant des bâtiments identifiés

D'autres bâtiments font l'objet de controverses. La miniature d'Avril représente pour certains le château de Dourdan, mais pour Cazelles, il s'agit du château de Pierrefonds. Pour la miniature de Mai, on hésite entre les toits de Riom ou ceux de Paris, même si la majorité des historiens y voit plutôt la capitale du royaume. Enfin, la chapelle de La Messe de Noël (f.158) est parfois identifiée à la Sainte-Chapelle de Bourges mais plusieurs détails distinguent le bâtiment représenté de celui présent par exemple dans le livre d'heures d'Étienne Chevalierc 35. Ces bâtiments sont liés plus ou moins au duc de Berry. Le château de Poitiers a été construit par le duc à la fin du xive siècle, celui de Mehun-sur-Yèvre lui appartient jusqu'en 1412, celui de Lusignan jusqu'à sa mort, le château d'Étampes lui appartient à partir de 1400. Le duc a fait réaliser la grande fenêtre et le pignon qui réunissent les deux tours de la cathédrale de Bourges représentées sur la miniature. Le palais de la cité, le château du Louvre et celui de Vincennes sont des résidences officielles du roi de France, soit successivement le père, le frère et le neveu du duc. Le lien entre le duc et le château de Saumur est plus ténu : il a appartenu à Yolande d'Aragon, belle-sœur de Jean de Berry mais surtout belle-mère de Charles VII. Ce lien a fait penser que Yolande avait été la seconde propriétaire des Très Belles Heures, d'autant qu'elle a été, de manière attestée, propriétaire des Belles Heures du duc de Berryms 1. Cette miniature a en effet été réalisée par le peintre intermédiaire des années 1440. Cependant, ce peintre a aussi réalisé les vues des châteaux de Lusignan, Poitiers, la Cité, le Louvre, Vincennes. Un seul personnage fait le lien entre ces six châteaux, il s'agit du roi Charles VII lui-même, ce qui fait dire que ce peintre intermédiaire vivait dans l'entourage immédiat du roic 36.

Pour expliquer la raison de ces représentations réalistes, là encore, plusieurs historiens de l'art comme Panofsky et Meiss ont avancé la tendance au plus grand naturalisme de la peinture à l'époque. Il s'agit aussi, par ailleurs, de montrer, au duc et au propriétaire suivant du manuscrit, l'étendue de ses actuelles et anciennes possessions57.

La représentation des paysans

Les miniatures des Très Riches Heures sont souvent présentées comme proches des réalités de la vie quotidienne. Elles s'attachent particulièrement à représenter deux des trois ordres, ceux qui combattent et travaillent, les seigneurs et les paysans. Si cette représentation des paysans s'attache à un certain naturalisme, elle reste sans doute empreinte de l'idéologie du commanditaire selon l'historien Jonathan Alexander. En effet, même si ces représentations semblent réalistes dans les détails des travaux des champs, les paysans sont systématiquement représentés selon lui comme des personnages « incultes, grossiers, vulgaires ». On les voit ainsi souvent dans des positions scabreuses, avec leurs parties génitales visibles par exemple dans la miniature de février, tournant leur postérieur vers le lecteur dans celles de mars ou de septembre, les bergers ont leurs vêtements en lambeaux dans celle de juillet. Mêmes les boutons dorés que porte le berger de gauche sur son manteau déchiré dans L'Annonce aux bergers (f.48), sont un moyen de le ridiculiser, tel un vulgaire voulant s'habiller au-dessus de son statut. Ces représentations sont mises systématiquement en opposition avec les représentations idylliques des aristocrates dans les autres miniatures du calendrier ou parfois même dans la même miniature comme dans celle d'août58.

Exemples de représentations de paysans

Pour Panofsky, le calendrier des Très Riches Heures marque un tournant dans l'histoire des calendriers du Moyen Âge :« une présentation purement descriptive de travaux et de passe-temps saisonniers dans le cadre d'une société stratifiée, mais essentiellement homogène [tels qu'ils sont figurés dans les premiers calendriers] se transforme ici en une caractérisation antithétiques de deux classes divergentes »59. Pour Jonathan Alexander, cette représentation va plus loin, il s'agit de la vision véritablement méprisante du monde paysan par le commanditaire de l'ouvrage. En effet, Jean de Berry, prince dépensier, est connu pour avoir particulièrement pressuré ses sujets pour en extorquer des impôts en grande quantité. Jean Froissart va même jusqu'à le qualifier d'« homme le plus avare du monde ». La présence de ses châteaux dominant les scènes paysannes rappelle cette pression exercée sur ses sujets60.

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2. Zaharia Stancu  - Jocul cu moartea

3. Mihail Sebastian - Orasul cu salcimi

4. Ioan Slavici - Inchisorile mele

5. Gib Mihaescu -  Donna Alba

6. Liviu Rebreanu - Ion

7. Cella Serghi - Pinza de paianjen

8. Zaharia Stancu -  Descult

9. Henriette Yvonne Stahl - Intre zi si noapte

10.Mihail Sebastian - De doua mii de ani

11. George Calinescu Cartea nuntii

12. Cella Serghi Pe firul de paianjen…

Continuare

Creat de altmariusclassic Dec 23, 2020 at 11:45am. Actualizat ultima dată de altmariusclassic Ian 24, 2021.

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