Les dimensions colossales, 220 mètres carrés, du plafond de ce temple lyrique qu’est l’édifice parisien de Charles Garnier indiquent l’ampleur de l’aventure exceptionnelle entreprise par Marc Chagall. Il est probable que le choix de l’artiste pour cette tâche, outre l’estime que lui porte Malraux, s’explique par son expérience dans ce domaine, à savoir les décors exécutés aux États-Unis pour les ballets Aleko de Tchaïkovski, en 1942, et L’Oiseau de feu de Stravinsky, en 1945, et ceux de Daphnis et Chloé de Ravel, en 1958, pour l’Opéra de Paris. La proposition de Malraux, en 1962, doit être replacée dans le cadre de sa reprise en main de l’Opéra et de sa volonté d’y faire entrer l’art contemporain.
Un amour profond de la musique
Avant même d’être nommé ministre de la Culture, Malraux avait initié une politique de grands ensembles décoratifs dans des lieux publics, à commencer par les décors d’une salle du Louvre réalisés par Braque. Sans doute est-il conscient que l’art de Chagall, qui reste figuratif, ne choquera pas le public de l’Opéra plutôt conservateur. Comme plus tard pour le musée du Message biblique à Nice, l’effort investi par Chagall dans ce projet est immense. L’enthousiasme de l’artiste s’explique par son amour profond pour la musique qu’il a maintes fois affirmé.
À la différence du Théâtre juif de Moscou, en 1920, où il s’était donné pratiquement le rôle du metteur en scène et était intervenu sur la scénographie, il s’agit, avec l’Opéra de Paris, de rendre hommage à ses compositeurs préférés, Mozart en premier lieu, mais également Rameau, Debussy ou Stravinsky.
Des corps en perpétuel mouvement
Le plafond est « une formidable machine dynamique tournoyante : les corps sont en perpétuel mouvement, les champs chromatiques voient leurs frontières brouillées, des effets de “vitrail”, de “mosaïque” ou de “pierreries” apparaissent » (Éric de Visscher). Surplombant les spectateurs de plusieurs dizaines de mètres, le spectacle réalisé par Chagall est exécuté à la peinture à l’huile, plus lisible et plus résistante, appliquée généreusement. Cependant, grâce à l’habileté de l’artiste, l’ensemble garde la légèreté du pastel.
Le plafond est divisé en cinq sections de couleurs différentes. Dans chacune d’entre elles, l’artiste a représenté deux compositeurs célèbres, associés parfois à leurs pièces les plus connues. Dans l’ordre, on découvre le rouge pour Ravel et Stravinsky, le blanc cassé pour Rameau et Debussy, le vert pour Berlioz et Wagner, le bleu pour Moussorgski et Mozart, et le jaune pour Tchaïkovski et Adam. On remarque le goût musical éclectique de Chagall mais aussi l’importance qu’il donne aux compositeurs russes. La critique n’a d’ailleurs pas manqué de mentionner cette disproportion, considérée comme injustifiée.
Un hommage à Paris et à ses monuments
Chagall rend simultanément hommage à la ville de Paris et à ses monuments : le bâtiment de l’Opéra, la tour Eiffel, l’Arc de Triomphe. À leurs côtés, l’inévitable paysage de Vitebsk, la ville de son enfance, mais aussi anges et amoureux, bouquets et animaux hybrides. Clin d’œil à la tradition de la Renaissance, Chagall peint le visage d’André Malraux, son « mécène » .
Si la réaction du public découvrant le nouveau plafond fut unanimement enthousiaste, les critiques mirent longtemps à accepter pleinement ce mélange de tradition et de modernité. Peu de temps après, en 1964, Chagall poursuit son aventure musicale aux États-Unis avec les deux peintures murales monumentales qu’il conçoit pour la façade principale du Metropolitan Opera à New York. Les Sources de la musique et Le Triomphe de la musique, où la couleur tourbillonne en grands cercles qui s’enchaînent, mesurent chacune onze mètres de haut sur neuf de large. Vues de l’extérieur à travers les immenses fenêtres encadrées par cinq arches, ces peintures murales semblent être des vitraux. Situé à Lincoln Center, ce monument à la gloire de la musique place l’œuvre de Chagall au cœur de la ville.
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