Un scientifique espagnol a identifié un tableau perdu de Géricault. Celui-ci serait le sixième monomane. ©DR / Théodore GéricaultUn scientifique espagnol a retrouvé un tableau de Théodore Géricault perdu il y a 200 ans. Représentant un homme mélancolique, l'œuvre serait le sixième portrait de sa célèbre série des « monomanes » qui montre des patients souffrant de maladies mentales et étant internés à l'asile.
Alors qu’on pensait que seulement cinq tableaux composaient la série des « monomanes » de Théodore Géricault (1791-1824), il semblerait que la science nous réserve de belles surprises. Il y a quelques jours, dans la revue The Lancet Neurology, le docteur Javier Burgos, spécialiste en neurobiologie et auteur du livre Geografía de la locura (soit géographie de la folie en français), a révélé avoir retrouvé une œuvre de Géricault venant compléter la série de cinq portraits conservés aujourd’hui dans des musées européens et américains. Intitulée Portrait d’homme. Homo melancholicus, l’œuvre en question représenterait la mélancolie, considérée au XIXe siècle comme une souffrance psychique.
Une œuvre retrouvée en Italie
C’est en 2013, lors de l’exposition « Borderline, artistes entre normalité et folie. De Bosch à Dalì, de l’Art Brut à Basquiat » au Musée d’Art de Ravenne (Italie), que le scientifique espagnol aurait retrouvé sa trace. Accrochée aux côtés du Médecin chef de l’asile Bouffon, également de Géricault, le Portrait d’homme appartient à un collectionneur privé italien. Tous les éléments concordent. D’après le catalogue de l’exposition, les dimensions du portrait sont similaires à celles des monomanes (soit 50–65 cm de largeur pour 61–81 cm de longueur), la composition est semblable (un visage éclairé devant un fond sombre) et l’homme porte un vêtement religieux de couleur similaire à l’écharpe rouge de La Monomane de l’envie.
Théodore Géricault, La Monomane de l’envie, dit aussi La Hyène de la Salpêtrière, 1819-1820, huile sur toile, 72 x 58 cm (© Musée des Beaux-Arts de Lyon)
Chaque tableau de la série, réalisé entre 1819 et 1922, représente un type de folie répertorié dans la classification des médecins du temps de Géricault. Les monomanes dépeignent les « fous qui focalisent leur déséquilibre sur un aspect précis tout en demeurant normaux dans le reste de leurs activités », définit Vincent Pomarède, administrateur adjoint du musée du Louvre. La mélancolie viendrait donc compléter l’envie (conservé au musée des Beaux-Arts de Lyon), le vol d’enfants (Springfield Museum of Fine Arts), le commandement militaire (musée Oskar Reinhart à Winterthur), la kleptomanie (musée des Beaux-Arts de Gand) et le jeu (musée du Louvre). Regard fixe, rictus, rides, lèvres pincées… Dans ces oeuvres, l’artiste synthétise une forme de la folie par un portrait introspectif où l’état mental de l’individu se lit sur son visage. Dans le Portrait d’homme, Géricault dépeint la mélancolie à l’aide des rides présentes entre les sourcils du patient sous forme de signe oméga grec, un trait distinctif de la pathologie selon le psychiatre allemand Heinrich Schüle (1840-1916).
Théodore Géricault, Portrait d’homme. Homo melancholicus, 47 x 62 cm, collection privée. ©DR
L’art au service de la médecine
Outre leurs qualités esthétiques, les monomanes sont des témoignages des relations entre la société et le monde psychiatrique du XIXe siècle. En immortalisant les malades mentaux des asiles parisiens, le maître de la peinture romantique a participé au processus de reconnaissance des patients en tant que personnes à part entière. Selon le spécialiste, s’il est pas possible d’identifier une maladie en regardant simplement le visage d’un patient, les théories du XIXe siècle qui placent le patient au centre de l’étude de la maladie mentale, doivent être considérées comme « précurseurs de l’approche de la maladie et de l’étude du cerveau comme organe de l’esprit et de l’abandon des superstitions ». Les psychiatres français ont par ailleurs été parmi les premiers à appliquer une méthode scientifique aux patients et à les considérer comme des êtres humains. « Ils ont catégorisé la maladie et essayé de les guérir », précise Jarvier Burgos.
Sur les circonstances de création de la série de portraits restent mal connues, Jarvier Burgos s’appuie sur l’hypothèse émise par le critique d’art Louis Viardot partagée en 1963 dans la « Gazette des beaux-arts ». Celui-ci y affirme que dix portraits de malades mentaux ont été commandés par le docteur Étienne-Jean Georget (1795–1828), médecin chef à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, pour illustrer un livre traitant de la folie et enseigner ainsi à ses étudiants les formes et expressions des patients atteints de troubles mentaux. Toutefois, aucun témoignage n’atteste de liens entre Géricault et Georget. Quoi qu’il en soit, la redécouverte d’un sixième monomane renforce l’hypothèse de l’existence de dix portraits composant la série, dont quatre restent encore à découvrir.
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