https://www.connaissancedesarts.com/wp-content/thumbnails/uploads/2023/06/cda23_monet_1_etretat_main-tt-width-680-height-382-fill-1-crop-0-bgcolor-ffffff.jpg 768w, En septembre 1880, le premier séjour de Claude Monet (1840-1926) aux Petites-Dalles marque un tournant dans l’œuvre du peintre impressionniste. À l’exception d’un court séjour à Rouen et au Havre en 1873, Monet avait en effet pratiquement cessé de peindre le littoral de la Manche durant les années 1870. Comme précédemment à Sainte-Adresse, l’histoire familiale des Monet exercera une influence directe sur le développement de l’œuvre picturale de Claude : en effet, c’est à l’invitation de son frère Léon (1836-1917), qui a fait construire un chalet sur la parcelle de terrain acquise en 1875 auprès d’un industriel rouennais, qu’il découvre cet endroit encore peu fréquenté par les touristes.
Monet, peintre de marines
Durant la décennie 1880, les motifs issus de la côte normande font un retour en force au point que les peintures de marines constituent désormais une part essentielle de l’œuvre du peintre. Non loin de Fécamp, en plein pays de Caux, Les Petites-Dalles avec son port d’échouage demeure davantage un village de pêcheurs qu’un site balnéaire lorsque Monet le découvre. Mais la vague naissante du tourisme aura tôt fait de transformer ce cadre pittoresque, dont l’attrait majeur repose sur l’imposante falaise de craie qui surgit sans transition de la plage échancrée. Gare ferroviaire, établissements de bains, casino et visiteurs de marque vont progressivement consacrer la réputation, jusqu’alors marginale, des Petites-Dalles et en faire un lieu prisé de villégiature auprès des élites rouennaises.
Claude Monet, Manne-Porte, Étretat, 1885, 65,4 × 81,3 cm, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie
Deux séjours, en 1880 et en 1881, témoignent de la fascination immédiate exercée par ce paysage antédiluvien sur Monet. C’est avant tout la « sauvagerie » géologique du site très encaissé et exposé au vent venu de la mer qui retient — passionne serait un terme sans doute plus approprié — l’artiste. Manifestation supplémentaire de cet engouement, Monet y revient en 1884 alors qu’il a déjà élargi son horizon à Fécamp, Pourville, Varengeville et, plus encore, Étretat : ce travail acharné fait désormais l’objet de véritables campagnes picturales qui associent ce nouveau motif des falaises à l’impressionnisme. Le caractère grandiose des parois rocheuses, vues d’en bas depuis la plage, stimule l’invention picturale de Monet. Peut-être achevées ultérieurement, plusieurs toiles sont ainsi exécutées aux Petites-Dalles, deux en 1880, deux autres en mars 1881, puis quatre en 1884 qui mettent cette fois à profit l’ensoleillement. Deux de ces peintures ont appartenu à Léon, sans que l’on sache s’il les a acquises auprès de son frère ou reçues en présent fraternel.
Claude Monet, Tempête à Etretat, 1883, National Gallery of Victoria, Melbourne ©Wikimedia Commons
Mer déchaînée et forteresse de calcaire
Comme il l’écrira un jour à son marchand Paul Durand-Ruel, Monet se confronte directement à la nature afin de « pousser » son travail dans ses ultimes retranchements. Stimulé par le littoral cauchois, il invente un équivalent pictural à la grandeur du paysage marin et géologique. De ce point de vue, son approche diffère radicalement de celle de Berthe Morisot, qui l’avait précédé aux Petites-Dalles. La jeune artiste tourne délibérément le dos aux falaises et se consacre, dans La Lecture (1873), à une célébration de l’intimisme champêtre qui associe féminité et lecture. L’effleurement subtil des choses, voué à restituer les transparences de l’atmosphère et le charme enchanteur d’une nature paisible, se détourne du sublime et de la violence des éléments.
Claude Monet, Les Falaises des Petites-Dalles, 1880, 60, 6 x 80, 3 cm, Museum of Fine Arts, Boston
C’est au contraire le spectacle de la mer déchaînée et de l’imposant surplomb de cette forteresse de calcaire surgissant de nulle part qui capte l’attention de Monet. Peintes en 1880, Les Falaises des Petites-Dalles concentrent le regard sur la petite plage en proie à la violence de la tempête ; vus de dos, les promeneurs — s’agit-il de Léon et de Claude ? — permettent au spectateur d’entrer directement dans l’œuvre. La facture mouvementée des falaises exacerbe la démesure presque monstrueuse de ce mur impénétrable de calcaire. L’absence de recul imposée par la nature récuse toute profondeur picturale, contrainte que Monet transforme en atout formel pour mieux exacerber le caractère abrupt de la paroi rocheuse sur la toile. L’insertion de figures ne fait que renforcer le sentiment de la petitesse humaine face aux éléments hors d’échelle.
Mondes en symbiose
Dans la périphérie de Rouen, la nature qui s’offre au regard du peintre semble au contraire beaucoup plus sereine et apaisée. Déville, puis Maromme, où Léon Monet dirige une usine de produits chimiques et acquiert une demeure, sont traversées par le chemin de fer qui longe les berges de la Seine en direction du Havre. Visuellement, cette innovation technique constitue un atout majeur aux yeux de Claude Monet, qui séjourna à plusieurs reprises chez son frère en 1870 et surtout en 1872, où le port et les navires retiennent d’abord son attention.
Claude Monet, Le Convoi de chemin de fer, 1872, 48 x 76 cm, Pola Museum of Art, Hakone, Japon ©Wikimedia Commons
Au-delà de la vie portuaire, la symbiose du paysage naturel des collines des environs de Rouen avec le monde industriel émergent est rendue possible sur la toile par l’élévation des panaches de fumée. Comme dans Le Convoi de chemin de fer (1872), ce motif concret, qui relie les plans successifs du tableau, symbolise le passage du monde ancien vers une époque économique nouvelle fondée sur la vapeur. Monet met à profit ses séjours familiaux en Normandie pour amplifier sa vision du paysage moderne. Vingt ans plus tard, c’est la cathédrale qui constituera son motif de prédilection.
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