https://www.connaissancedesarts.com/wp-content/thumbnails/uploads/2023/03/cda23_mag_collection_monet_coleil-tt-width-680-height-382-fill-1-crop-0-bgcolor-ffffff.jpg 768w, Léon Monet (1836-1917) n’était pas un artiste mais, à sa façon, il a trempé toute sa vie dans la couleur, comme amateur, certes, mais aussi comme professionnel dans la chimie des colorants synthétiques. Il a surtout joué un rôle non négligeable dans la carrière de son cadet, et plus particulièrement dans des premiers temps difficiles. De cinq ans l’aîné de Claude, Léon voit le jour à Paris en 1836. La famille Monet s’installe ensuite au Havre en 1845. Mais c’est dans la région de Rouen que Léon Monet va faire carrière.
Des débuts prometteurs
En 1869, la société suisse Geigy & Co embauche ce jeune chimiste en tant que représentant de commerce à son bureau de Déville-lès-Rouen, une commune industrielle de la vallée du Cailly. Geigy & Co est, à l’époque, une des plus importantes entreprises dans le secteur de la chimie. Spécialisée dans la production de colorants synthétiques à l’aniline, elle est présente sur le marché des teintures industrielles, des pigments et du textile, et exporte des colorants dans le monde entier. À Rouen et dans sa région, elle fournit les nombreuses entreprises textiles qui fabriquent les célèbres indiennes. Sans doute pour se rapprocher de ses clients, la firme Geigy & Co fonde en 1892 un site de production à Maromme, à la tête duquel elle place naturellement Léon Monet. Avant même d’arriver à ces responsabilités, ce dernier s’était distingué par son activisme à la confluence des champs économique et culturel. En effet, en 1872, il propose aux industriels et chimistes des fabriques d’indiennes de la région de créer une Société industrielle à Rouen, une société savante sur le modèle de celle de Mulhouse.
Anonyme, Léon Monet dans la cour de son usine de Maromme avec son neveu Jean (à droite) © RMN-Grand Palais
Portrait caché
Ces quelques éléments biographiques dessinent l’image d’un homme entreprenant, à la réussite incontestable, bien intégré dans la société locale. Image à laquelle se révèle étonnamment fidèle le portrait que son frère brosse de lui en 1874. Léon y apparaît en notable bien mis, à l’aisance naturelle, un homme « cordial et franc », à « l’intelligence vive et prompte », ainsi que le décrivaient des contemporains. Curieusement, le modèle ne semble pas avoir apprécié le miroir que lui tendait Claude, si l’on en croit l’artiste rouennais Joseph Delattre. À son ami le peintre Charles Angrand, il rapportait l’anecdote suivante : « Il y a plusieurs années, M. Claude Monet ébaucha le portrait de son frère, les touches étaient brutales et cependant à distance ces touches semblaient être faites l’une pour l’autre, elles s’harmonisaient et le portrait était ressemblant ; Monet allait procéder à l’achèvement de son portrait quand Renoir et Sisley arrivent dans l’atelier et en jetant un coup d’œil sur le portrait, de dire : “N’y touche pas, tu l’éreinterais”. Et le portrait est resté ainsi tout imprégné de ce tempérament brutal d’artiste. Sais-tu ce qu’a fait Monet, pas Claude, mais son frère, le chimiste de Déville ? Eh bien, mon cher, il l’a caché ».
Claude Monet, Portrait de Léon Monet, 1874, huile sur toile, 63 x 52 cm, collection particulière © RMN-Grand Palais
Un précieux soutien
En dépit de cette réticence, le frère de Monet s’avère un soutien précieux au groupe des impressionnistes, à une époque où les collectionneurs sont rares et les critiques acerbes. Dès 1864, il commence à acquérir des peintures de son frère, deux natures mortes et quatre paysages normands entrant alors dans sa collection. Celle-ci comptera jusqu’à une vingtaine de toiles de Monet, ainsi que deux rares carnets de dessins datés de 1856. Sensible aux valeurs de la nouvelle peinture, Léon n’hésite pas à acheter aussi les œuvres des autres impressionnistes, Pissarro, Sisley, Renoir. En juin 1871, par exemple, Claude sollicite Pissarro afin qu’il lui fournisse « quelque chose de fini pour [s]on frère », préludant à l’acquisition de trois peintures par Léon.
Camille Pissarro, Le Pont de pierre et les Barges à Rouen, 1883, huile sur toile, 54,2 x 65 cm, The Colombus Museum of Art, États-Unis
À côté de cette traditionnelle activité de collectionneur-mécène, l’aîné des Monet participe à la diffusion et à la valorisation des travaux impressionnistes. En 1872, il montre des œuvres de sa collection à la XXIIIe Exposition municipale des beaux-arts qui se déroule à Rouen au printemps. Sont notamment offerts au regard des visiteurs Intérieur et Un canal en Hollande de Monet, La Maison de campagne de Pissarro et Canal Saint-Martin de Sisley. Ce type de manifestation accompagne l’éclosion d’un marché de l’art en province et l’émergence d’amateurs avisés, dont l’industriel rouennais François Depeaux constitue l’exemple le plus emblématique. Cet ami de Léon Monet, enrichi dans le charbon, sera bientôt l’un des plus importants collectionneurs des impressionnistes, comme l’a rappelé la récente exposition du musée des Beaux-Arts de Rouen.
La fameuse vente de Drouot
Le soutien de Léon Monet se manifeste également à l’occasion d’une vente aux enchères à Drouot organisée par Renoir. Sous le titre « Tableaux et aquarelles par Claude Monet, Berthe Morisot, A. Renoir et A. Sisley », celle-ci vise non seulement à assurer quelques revenus aux artistes, mais aussi à assurer leur promotion, quelques mois après la première exposition impressionniste sur le boulevard des Capucines. Léon Monet est le plus gros acheteur après Durand-Ruel, avec au moins cinq œuvres, peut-être plus. Sans doute pour donner le ton et lancer les enchères, il se porte acquéreur de la première œuvre figurant dans le catalogue, Coucher de soleil sur la Seine, peint par son frère cette même année 1875, pour 255 francs.
Vue de l’exposition, Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur, musée du Luxembourg © Didier Plowy pour la Rmn – GP scénographie Hubert Le Gall
Même si l’adjudication se révèle décevante, grâce à Léon, tous les Monet et les Renoir sont vendus. De ce dernier, entrent dans sa collection L’Institut au quai Malaquais et En été. Loin de se limiter au cercle étroit des amis de son frère, Léon s’intéresse par ailleurs aux peintres de l’École de Rouen comme Joseph Delattre, Charles Fréchon, Narcisse Guilbert ou Georges Bradberry, qui s’inscrivent dans le sillage de l’Impressionnisme. Les paysages de la région rouennaise tiennent ainsi une place importante dans sa collection, les artistes locaux y rivalisant avec Monet et Pissarro. Comme Claude, il est séduit par les productions japonaises, mais, quand son cadet préférait les estampes d’Hokusai ou Hiroshige, exécutées à l’aide de pigments naturels, il préfère les crépons contemporains imprimés avec des couleurs synthétiques à l’aniline. Ou comment son goût de collectionneur retrouve ses intérêts professionnels.
Pierre-Auguste Renoir Paris, l’Institut au Quai Malaquais, 1872, huile sur toile, 46 x 56 cm, collection particulière © avec l’autorisation du propriétaire
« Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur »
Musée du Luxembourg
1, rue de Vaugirard, 75006 Paris
du 15 mars au 16 juillet
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