Nous avons salué, dans un précédent article, la réussite du docu-fiction Guillaume le conquérantretraçant la vie du plus célèbre des ducs de Normandie. Cette réussite doit beaucoup à la collaboration réussie entre le réalisateur Frédéric Compain et le conseiller historique Pierre Bouet, maître de conférences honoraire et directeur honoraire de l’Office universitaire d’Études normandes qui nous a fait le plplaisir de répondre à quelques questions :
Histoire et Images médiévales : comment décrire en quelques phrases l’épopée de Guillaume ?
Pierre Bouet : L’épopée de Guillaume est une réussite remarquable non seulement sur le plan militaire (plusieurs sièges et plusieurs batailles dont celle d’Hastings réussis), mais également dans le domaine économique et politique. Il est parvenu à s’imposer à une élite aristocratique qui voulait l’évincer, de sorte que, sous son autorité, la Normandie a connu la paix durant quelque 40 ans (il a gouverné 52 ans de 1035 à 1087). Il a fondé 29 abbayes (alors que ses 6 prédécesseurs n’en avaient fondé que 12) ces monastères constituaient alors des pôles d’excellence d’un point de vue économique (exploitation agricole, chantier permanent de construction), social (soins aux malades, accueil des pauvres et des vieux) et culturel (école, bibliothèque et scriptorium) : un abbaye rayonne dans un cercle de 50 km de diamètre, ou elle apporte une civilisation d’un niveau supérieur. Le duché est devenu ainsi une principauté prospère et puissante. La conquête de l’Angleterre a été une aventure aux risques multiples qu’il parfaitement maîtrisés : c’est dans cette conquête qu’il a fait preuve de ses qualités d’homme d’état et d’organisateur.
HIM : peut-on considérer l’expédition de Guillaume qui mena à la bataille d’Hasting comme une invasion viking ?
PB : Il n’y a rien de viking dans l’expédition de Guillaume à travers la Manche. La plupart des chevaliers normands se sont opposés au projet de Guillaume sous le prétexte qu’il fallait traverser la mer. D’ailleurs les Normands qui allaient en Italie du Sud y sont allés non par la mer, mais à pied et à cheval en traversant les Alpes. Depuis plus d’un siècle, les anciens vikings et leurs descendants (qui avaient épousé des indigènes) sont devenus des Francs à part entière : dès 935, on ne parle plus le norrois à Rouen. Rollon a choisi, pour demeurer sur cette terre riche, d’abandonner langue, religion, institutions. Restent seulement quelques brides norroises de vocabulaire dans la langue maritime. Seuls les navires sont bien de tradition viking.
HIM : les historiens, depuis Jules Michelet, utilisent leur imagination pour combler les silences des sources. Est-ce que le docu-fiction est une bonne méthode d’y parvenir ?
PB : Tout ce qui est dans le docu-fiction s’appuie sur des sources latines que j’étudie depuis 40 ans (je suis en effet latiniste de formation). Il n’y a rien rien d’imaginaire. Nous possédons de nombreux ouvrages contemporains qui nous parlent de Guillaume et des Normands. Reste que ces textes rédigés pour célébrer les princes et les rois exigent d’être croisées avec les sources des vaincus pour une interprétation la plus objective possible.
HIM : On vous voit apparaître à l’écran au milieu des scènes costumées. Pourquoi ce dispositif ?
PB : Ce que j’ai apprécié chez le réalisateur Frédéric Compain, c’est son désir de susciter en permanence l’esprit critique des spectateurs. A la différence d’un film qui plonge le spectateur dans le monde du passé, F. Compain a voulu conserver une certaine distanciation entre ce qui s’est réellement passé et ce que nous pouvons en dire aujourd’hui. Il a utilisé plusieurs stratagèmes pour le rappeler, dont celui de me faire intervenir dans le jeu de scène.
HIM : On sent parfois quelques divergences avec vos collègues français et anglais. Était-il important de les montrer à l’écran ?
PB : C’est justement un de ces stratagèmes pour créer de la distance entre ce qui s’est passé et ce que nous pouvons en dire, que de montrer des différences d’interprétation entre collègues. Il y avait quelque humour à ce que moi, français, je considère Harold comme un roi légitime et que mon collègue anglais le considère comme un parjure.
Propos recueillis par William Blanc
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