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cultură şi spiritualitate

ANDREI PLESU CONDAMNAT LA CURTEA EUROPEANA A DREPTURILOR OMULUI

Gabriel Andreescu a castigat la CEDO dupa ce a afirmat ca Andrei Plesu a colaborat cu Securitatea.

 

 

 

TROISIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE ANDREESCU c. ROUMANIE

 

(Requête no 19452/02)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

STRASBOURG

 

8 juin 2010

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Andreescu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

          Josep Casadevall, président,
          Elisabet Fura,
          Corneliu Bîrsan,
          Boštjan M. Zupančič,
          Alvina Gyulumyan,
          Ineta Ziemele,
          Luis López Guerra, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mai 2010,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 19452/02) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Gabriel Andreescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 mars 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me Livia Cinteză, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan‑Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant allègue une atteinte à son droit à la liberté d'expression en raison de sa condamnation au pénal et au civil pour diffamation, ainsi qu'à son droit à un procès équitable, ayant été condamné par la juridiction de recours sans être entendu, après avoir été acquitté en première instance.

4.  Le 15 janvier 2009, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1952 et réside à Bucarest.

A.  Genèse de l'affaire

6.  Le requérant est un militant des droits de l'homme reconnu en Roumanie. Il est membre fondateur du Comité Helsinki roumain et se trouve à l'initiative de plusieurs autres associations non gouvernementales militant pour les droits de l'homme. Il est également maître de conférences (conferenţiar universitar) en éthique et sciences politiques et collabore régulièrement avec plusieurs journaux et publications.

7.  A l'époque du régime communiste, avant 1989, il avait subi des persécutions, avait été arrêté et assigné à résidence pour avoir critiqué le régime sur la question des violations des droits de l'homme, avoir donné des entretiens à la presse occidentale et avoir mené des actions de protestation pacifiste, comme des grèves de la faim.

8.  Le 9 décembre 1999 fut publiée dans le Journal officiel la loi no 187/1999 du 20 octobre 1999 relative à l'accès des citoyens à leur dossier personnel tenu par la Securitate et visant à démasquer le caractère de police politique de cette organisation (Legea privind accesul la propriul dosar şi deconspirarea securităţii ca poliţie politică). En vertu de cette loi, tout citoyen roumain ou tout étranger ayant obtenu la nationalité roumaine après 1945 a le droit de prendre connaissance du dossier établi à son sujet par les organes de la police politique de l'ancien régime. La loi dispose en outre que toute personne ayant fait l'objet d'un dossier dont il ressort qu'elle a été mise sous surveillance par la Securitate a le droit de connaître l'identité des agents des services secrets et de leurs collaborateurs ayant versé des pièces à leur dossier. Enfin, la loi prévoit que tous les citoyens roumains, les médias, les organisations non gouvernementales et les institutions publiques ont le droit d'accéder à l'information d'intérêt public concernant la qualité d'agent ou de collaborateur de l'ancienne Securitate des personnes occupant des fonctions publiques telles que la présidence de la Roumanie, des fonctions gouvernementales ou parlementaires, des fonctions de préfet de département, de juge et d'inspecteur général de police. L'accès à cette information d'intérêt public concerne aussi les personnes se trouvant à la tête des Églises et des cultes religieux reconnus ainsi que les membres de l'Académie roumaine.

9.  La loi no 187/1999 mit en place un organisme public chargé de son application, à savoir le Conseil national pour l'étude des archives de la Securitate (Consiliul Naţional pentru Studierea Arhivelor Securităţii, CNSAS).

10.  Le débat politique autour de cette loi et de son application fut considérable et la couverture médiatique fut et continue d'être importante. Le requérant fut l'un des promoteurs de la loi entre 1989 et la date de son adoption en 1999.

11.  En juin 2000, le requérant saisit le CNSAS d'une demande d'accès au dossier de renseignements créé à son égard par l'ancienne Securitate. Il ne reçut pas de réponse dans le délai de trente jours prévu par l'article 12 de la loi no 187/1999. En septembre 2000, il adressa au CNSAS une nouvelle demande concernant la question de savoir si les membres du synode de l'Église orthodoxe roumaine avaient été ou non des collaborateurs de l'ancienne Securitate. Il ne reçut pas de réponse dans le délai prévu par la loi.

B.  La conférence de presse tenue par le requérant le 20 février 2001

12.  En l'absence de réponse aux deux demandes qu'il avait adressées au CNSAS, le requérant annonça une conférence de presse pour le 20 février 2001, lors de laquelle il comptait exprimer ses préoccupations quant à l'inefficacité en pratique des recours offerts par la loi no 187/1999.

13.  Au cours de la conférence de presse, il déclara aux journalistes présents qu'il était déçu par la manière dont la loi no 187/1999 était appliquée et il dénonça les problèmes relatifs à l'application de la loi, qui étaient de nature à porter atteinte tant aux droits individuels qu'à l'intérêt public. Il invita les autorités à respecter la loi et le public à être vigilant à cet égard.

14.  En réponse aux questions des journalistes portant sur les causes de l'inefficacité de l'activité du CNSAS, le requérant mentionna le manque de professionnalisme, l'indifférence et la paresse des membres du collège du CNSAS.

15.  Interrogé par les journalistes au sujet des doutes qu'il pouvait avoir quant à l'indépendance des membres du CNSAS, il répondit qu'une seule personne lui inspirait de la méfiance à cause des pressions qui avaient été exercées sur elle à l'époque du régime communiste, pressions destinées à briser sa résistance et à l'amener à se plier aux diktats du régime. Il désigna nommément Andrei Plesu, membre du collège du CNSAS, personnalité publique connue dans le domaine de la culture et ancien ministre de la Culture, puis des Affaires étrangères. En exposant les raisons sur lesquelles se fondaient ses soupçons, le requérant précisa que « bien sûr, cela ne prouve pas que M. [A.P.] ait forcément collaboré avec la Securitate ». Il évoqua également tant les hautes fonctions acceptées par A.P. dans un des premiers gouvernements d'après 1989 que les propos tenus publiquement par celui-ci au sujet des « grands dilemmes moraux soulevés par les dossiers » et sa réticence à l'égard du dévoilement de la police politique, manifestée au cours des débats publics à ce sujet.

16.  Évoquant l'épisode du mouvement de la méditation transcendantale et le groupe de Păltiniş auquel une partie de l'intelligentsia roumaine, dont A.P., s'était affiliée avant 1989, en s'attirant des représailles, le requérant fit référence aux méthodes utilisées par la police politique pour briser la résistance psychique des personnes visées, telles que les enquêtes abusives, menaces, intimidations, machinations et harcèlements. Selon le requérant, les personnes qui avaient déjà fait l'objet d'enquêtes devaient continuer à s'expliquer « lors des entretiens postérieurs » avec les agents de la Securitate, et elles étaient ainsi amenées à céder progressivement aux pressions en agissant contrairement à leur conscience.

17.  Le requérant exprima également sa considération pour A.P. et sa compréhension à l'égard des comportements de soumission de celui-ci à l'ancien régime, « qui, pour ne pas être un héros, n'a pas pour autant un mauvais fond ».

18.  Le requérant souligna, à la fin de son intervention, qu'il n'avait pas de preuves lui permettant d'affirmer que A.P. avait réellement cédé aux pressions de la Securitate, mais qu'il était venu devant les journalistes pour exprimer ses soupçons et ses arguments, « des arguments qui ne sont pas des preuves absolues, mais qui attendent celles qui seront absolues. Mais les preuves absolues ne peuvent être obtenues qu'avec la collaboration des institutions. »

19.  La partie pertinente de l'intervention du requérant, tel que retranscrit par le tribunal de première instance de Bucarest dans son jugement du 13 juillet 2001 (paragraphe 31 ci-dessous), était le suivant :

« Nous avons un seul cas à propos duquel je peux dire que j'ai un soupçon (...) – je crois que nous avons le droit d'exprimer des soupçons – et la personne à laquelle je pense est M. [A.P.].

M. [A.P.] a été nommé ministre de la Culture immédiatement après la révolution. Si nous reprenons la liste des personnes qui se sont infiltrées dans les structures du pouvoir immédiatement après 1990, nous voyons que ceux qui ont occupé des fonctions décisionnelles n'y sont pas arrivés par hasard (aveau ceva în spate). Bien sûr, cela ne prouve pas que M. [A.P.] ait forcément collaboré avec la Securitate. A part cela, au fil du temps, il a fait preuve d'une incroyable obédience envers le premier ministre de l'époque, [P.R.], devenu le chef du PD (...) mais [la preuve] la plus incontestable est l'acceptation par [A.P.] de figurer sur les listes des candidats pour le collège. Je connais les problèmes qu'il a eus auparavant, à la fin très attendue – selon ses dires – de son ministère aux Affaires étrangères. Lorsque M. [P.R.] l'a sollicité encore une fois pour ce poste, il a répondu « oui », et non seulement il a répondu « oui », mais il a mené toute une politique pour convaincre l'opinion publique qu'il avait ce droit. Même si, au regard de la loi sur l'accès aux dossiers, il n'avait pas ce droit. Je me rappelle le débat que nous avons eu au GDS concernant le caractère acceptable des nominations de [M.D.] et de [A.P.], la présence de A.P. là et sa manière d'argumenter ce jour-là. Il avait fait référence, sur le mode du pathos, aux grands dilemmes moraux soulevés par les dossiers et à l'ampleur des drames cachés dans ces dossiers. On ne pouvait pas prendre ces propos au premier degré, comme des enfants ; aussi, après plusieurs semaines de discussions – je tiens à le dire –, plusieurs membres du GDS avaient acquis la conviction que [A.P.] avait un problème avec son dossier (are o problemă la dosar), à savoir qu'il se comportait de cette manière à cause de son dossier. Pourquoi cela ? Pourquoi M. [A.P.], une personnalité à l'égard de laquelle j'ai toutes les raisons d'éprouver de la considération, avait-il collaboré avec la Securitate ? Ce fait est très simple et explicable dans le cas d'une personne qui, à cette époque-là, pour ne pas être un héros avec l'intelligence absolument précise et élaborée de l'opposition contre les stratégies de la Securitate, n'a pas pour autant un mauvais fond. Comme vous le savez, il a été exclu du parti et a eu des problèmes avec la Securitate en raison du mouvement de méditation transcendantale. Là, il s'agissait toujours d'un coup monté (înscenare) par la Securitate, qui avait employé un agent étranger pour le groupe ésotérique « Méditation transcendantale ». En tout cas, dans cette activité, plusieurs intellectuels roumains de prestige avaient été piégés et cette action avait réussi à intimider l'intelligentsia roumaine, au moins pour un certain temps. Une des victimes avait été [A.P.]. Or il est évident que dans une telle situation on était convoqué par la Securitate, ça frappait du poing sur la table (ţi se bate cu pumnul în masă), on était menacé, on était forcé de faire beaucoup de dépositions – et ce pas une seule fois, mais à de nombreuses reprises. En outre, il existe une fameuse technique consistant à mettre sur le papier à signer de choses pour lesquelles on devient responsable, qu'on assume et dont on est conscient. A Rahova, il est arrivé que les agents de la Securitate (securiştii) arrivent par groupes et frappent du poing sur la table en disant : « Signe ! Signe ! Signe ! » Pour se rendre compte que ce verbe traduit un ordre et non pas une option, il faut avoir un certain sang froid, une certaine colère intérieure et une certaine maîtrise de soi. Je ne crois pas que [A.P.] ait ces capacités... Et je ne crois pas non plus qu'il ait été suffisamment rompu aux textes de loi pour résister à une telle pression. Au fil des années, [A.P.] avait fait partie du « groupe de Păltiniş ». Il va de soi que, par cette activité, il était au centre des préoccupations de la Securitate. De toute évidence, les gens qui avaient fait l'objet d'enquêtes devaient continuer à s'expliquer sur leurs discussions lors des entretiens postérieurs. Et comme ça, petit à petit, on était amené à faire des fautes et chaque faute pesait dans le dossier et on vous rendait de plus en plus faible ; on était amené à faire des choses qu'on n'aurait jamais pu imaginer faire un jour. Il est probable que [A.P.] ressente une immense gêne et que, de ce fait, il n'ait pas pu parler en 1990 des faits dont j'estime qu'il aurait dû parler. Je le redis : je n'ai pas de preuves. Je suis venu devant vous pour exprimer des soupçons et des pseudo-arguments, c'est-à-dire des arguments qui ne sont pas des preuves absolues, mais qui attendent celles qui seront absolues. Mais les preuves absolues ne peuvent être obtenues qu'avec la collaboration des institutions. »

20.  Le discours du requérant rencontra une large couverture médiatique. Par exemple, le journal national România liberă titra dans son édition du 21 février 2001 : « Gabriel Andreescu a lancé hier des accusations graves : [A.P.] est soupçonné d'avoir collaboré avec l'ancienne Securitate ».

C.  La condamnation pénale du requérant pour diffamation

21.  Le 27 février 2001, A.P. forma une plainte pénale contre le requérant, l'accusant d'insulte et de diffamation pour les propos tenus à son égard lors de sa conférence du 20 février 2001. A.P. réclama également des dommages-intérêts d'un montant d'un milliard d'anciens lei roumains (ROL) et la condamnation du requérant à des excuses publiques.

1.  Les débats devant le tribunal de première instance de Bucarest

22.  Lors de l'audience du 3 juillet 2001, le tribunal de première instance de Bucarest entendit le requérant, la partie lésée et le procureur.

23.  Le procureur demanda l'acquittement du requérant au motif que le discours litigieux exprimait un soupçon et non pas l'affirmation d'un fait déterminé, et qu'il n'y avait aucun élément susceptible de démontrer que le requérant avait agi dans l'intention de diffamer la partie lésée.

24.  Dans ses conclusions écrites, le requérant fit référence, entre autres, à une déposition manuscrite faite par A.P. le 19 mai 1982. Selon le requérant, le contenu de cette déposition renforçait ses soupçons selon lesquels A.P. avait pu céder aux pressions de la Securitate en lui fournissant des informations de nature à porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux d'autrui, comme la liberté d'expression et la liberté de réunion. Il se fondait sur le passage suivant de la lettre :

« Je précise que, quelque temps après (...), j'ai informé un officier du ministère de l'Intérieur au sujet de la conférence à laquelle j'ai participé, tout en lui exprimant mon désaccord quant à son contenu et mon étonnement qu'elle ait pu avoir lieu dans des conditions officielles. »

25.  Dans ces conclusions écrites, le requérant soutenait que le fait de révéler pareilles informations et d'exprimer son désaccord dans une déposition faite devant un représentant de l'ancien régime représentait une attitude sinon de collaboration avec le régime, du moins de compromission, car pareille attitude était « une invitation à la répression des organisateurs » de ces réunions. A cet égard, le requérant considérait que la déclaration de A.P. du 19 mai 1982 était une preuve de nature à renforcer ses doutes, d'autant plus que la loi no 187/1999 donnait une définition légale de la notion de « collaborateur des organes de la Securitate en tant que police politique », incluant les « personnes qui avaient donné des informations à la Securitate par lesquelles il avait été porté atteinte directement ou par d'autres organes, aux droits et libertés fondamentaux de l'homme », à l'exception des déclarations faites au cours des enquêtes par des personnes privées de liberté pour des raisons politiques, et relatives à des faits qui leur étaient imputés.

26.  Le requérant mentionna également deux personnes appartenant au GDS, à savoir R.S. et D.P., qui avaient exprimé lors de discussions avec lui, des soupçons concernant A.P.

27.  Le requérant estimait, en outre, qu'en vertu du droit à la liberté d'expression il avait le droit d'apprécier des faits évidents, mais également des apparences.

28.  Il ressort des conclusions écrites du requérant que, le 15 mai 2001, son adversaire, A.P., avait été entendu devant le tribunal de première instance au sujet de sa déposition du 19 mai 1982. A cet égard, A.P. avait déclaré qu'il avait été contraint par la Securitate de faire la déposition incriminée et que celle-ci visait des citoyens de nationalité suisse ayant participé à la conférence et non pas les participants roumains.

29.  Enfin, le requérant soulignait que, tout en exprimant ses doutes quant à l'intégrité de A.P., il avait toujours compris que A.P. avait uniquement fait preuve de faiblesse face aux pressions de la Securitate et qu'il n'avait jamais agi ni dans le but de nuire ni dans celui d'obtenir des privilèges de la part du régime. Il concluait que « l'affirmation selon laquelle une personne n'est pas un héros ne saurait passer pour une diffamation ».

30.  Au cours des débats, A.P. produisit devant le tribunal un certificat issu du CNSAS dont il était membre, daté du 12 juin 2001, attestant qu'il n'avait pas collaboré avec la Securitate. Il versa également au dossier une déclaration extrajudiciaire de D.P. datée du 22 juin 2001, dans laquelle ce dernier déclarait qu'il n'avait jamais affirmé que A.P. avait des liens avec l'ancienne Securitate, qu'il n'avait pas eu de discussion avec le requérant à ce sujet et qu'il n'assumait rien de ce que le requérant avait affirmé à son égard.

2.  Le jugement du 13 juillet 2001 du tribunal de première instance de Bucarest

31.  Par un jugement du 13 juillet 2001, le tribunal de première instance de Bucarest prononça l'acquittement du requérant, au motif que les éléments matériels et intentionnels des infractions dont il était accusé n'existaient pas en l'espèce, et rejeta les prétentions de la partie lésée au civil.

32.  Se référant à la liberté d'expression, au droit du public d'accéder à des informations d'intérêt public et au droit à la protection de la réputation d'autrui, tels que garantis par la Constitution, le tribunal retint d'abord que les affirmations du requérant, décrivant la partie lésée comme une personne « ayant fait preuve d'une incroyable obédience envers [P.R.] » et comme une personne faible, incapable de résister à la police politique du régime communiste, étaient des jugements de valeur et ne dépassaient pas les limites de la critique acceptable des personnalités publiques, pour autant que le requérant n'avait pas employé des expressions triviales ou injurieuses et que ses affirmations ne confinaient pas à l'absurde ou à l'impossibilité objective. Dès lors, le tribunal concluait à l'absence de l'infraction d'insulte à cet égard.

33.  Ensuite, le tribunal estima qu'il pouvait être déduit du discours du requérant que celui-ci avait reproché à la partie lésée d'avoir collaboré avec l'ancienne Securitate.

34.  Il constata d'emblée l'intérêt du public à débattre de ce sujet, compte tenu de la qualité de personne publique, investie de fonctions officielles, de A.P., dont notamment celle de membre du Conseil national pour l'étude des archives la Securitate. L'intérêt public était particulièrement vif à l'égard des conditions exigées par la loi pour devenir membre du collège du CNSAS, notamment la condition de ne pas avoir fait partie des structures de la Securitate et de n'avoir pas collaboré avec elle. A cet égard, le tribunal souligna que le requérant avait tenu les propos litigieux dans le cadre d'un débat d'intérêt public dont la portée était plus large et visait l'efficacité du CNSAS et du recours offert par la loi no 187/1999.

35.  Le tribunal jugea que le requérant avait agi de bonne foi, car il n'avait jamais exprimé la certitude que la partie civile avait collaboré avec la Securitate, mais seulement ses soupçons à cet égard, fondés sur certains indices de nature à faire naître le doute. Le tribunal observa que le requérant avait toujours insisté sur la subjectivité de sa démarche et sur l'absence de preuves certaines, avertissant ainsi le public et l'invitant à procéder à sa propre appréciation des indices existants.

36.  Par ailleurs, en ce qui concernait le certificat attestant que A.P. n'avait pas collaboré avec l'ancienne Securitate, le tribunal considéra que cette attestation pouvait en effet ne pas dissiper les doutes du requérant, étant donné le contexte dans lequel les soupçons avaient été émis, à savoir une critique du CNSAS et de son efficacité, ce qui impliquait de douter également des preuves issues du CNSAS lui-même.

37.  Le tribunal conclut comme suit :

« (...) qu'elle arrive ou non à une conclusion erronée, la démarche [du requérant] est menée de bonne foi – sachant qu'il a attiré lui-même l'attention sur les insuffisances de ses arguments – et qu'elle représente seulement une interprétation des faits objectifs, correctement présentés (à savoir la présence de la partie lésée dans deux cabinets, le fait qu'elle avait été soumise aux pressions de l'ancienne Securitate, la manière notoire dont l'ancienne Securitate forçait ses victimes à collaborer, etc.) dans le contexte des jugements de valeur qui, qu'ils soient erronés ou non, échappent au contrôle du tribunal, et des interprétations qui ne sont pas impossibles ou invraisemblables (...), cette démarche s'inscrit dans les limites de la liberté d'expression. »

38.  Rejetant la demande de la partie civile pour dommages-intérêts, au motif que le requérant n'avait pas commis de fait illicite, mais seulement exercé son droit à la liberté d'expression reconnu par la Constitution, le tribunal ordonna en outre que les frais de procédure ne soient pas imputés au requérant (rămân în sarcina statului).

3.  Le pourvoi en recours de la partie lésée devant le tribunal départemental de Bucarest

39.  La partie civile forma un pourvoi en recours (recurs) devant le tribunal départemental de Bucarest contre le jugement du 13 juillet 2001.

40.  Le parquet forma également un pourvoi en recours, au motif que les frais de procédure auraient dû être imputés à la partie qui avait perdu.

41.  Lors d'une première audience du 1er octobre 2001, le tribunal départemental ordonna le renvoi de l'audience à une date ultérieure afin que les motifs des recours soient communiqués au requérant.

42.  Le 15 octobre 2001, le tribunal départemental ouvrit les débats sur les pourvois formés par A.P. et par le parquet. Le représentant du ministère public demanda le maintien de l'acquittement du requérant et le rejet du pourvoi de la partie civile comme mal fondé.

43.  Les plaidoiries des avocats du requérant et de son adversaire furent entendues. Le requérant, qui était présent à l'audience, ne fut pas entendu en personne par le tribunal départemental.

44.  Par un arrêt du 29 octobre 2001, le tribunal départemental de Bucarest accueillit le pourvoi formé par A.P. et condamna le requérant à une amende pénale de 5 000 000 de ROL et au versement de 50 000 000 de ROL de dommages moraux à la partie lésée.

45.  Il jugea que le requérant n'avait pas pu démontrer la véracité de ses propos selon lesquels A.P. avait collaboré avec l'ancienne Securitate, tandis que le certificat du 12 juin 2001 issu du CNSAS attestait que A.P. n'avait pas collaboré. Le tribunal ne fit aucune référence aux considérants du tribunal de première instance en faveur de l'acquittement du requérant. Le tribunal utilisa les termes suivants :

« En l'espèce, l'inculpé n'a pas pu faire la preuve de la véracité de ses propos qui ont eu un écho dans la conscience du public et auraient pu entraîner une sanction pour la partie lésée s'ils s'étaient avérés réels, compte tenu de la fonction que cette dernière occupait à l'époque des faits et de sa déclaration par laquelle elle avait nié toute collaboration avec la Securitate.  Le fait que la partie lésée n'a pas eu le statut de collaborateur de la Securitate ressort du certificat no 5552/12 juin 2001 versé au dossier, issu par le CNSAS. Compte tenu de ces considérations, se fondant sur l'article 385/15 point 2 lettre d) du CPP, le tribunal départemental accueille le recours de la partie lésée, casse le jugement contesté et, quant au fond, condamne l'inculpé en vertu de l'article 206 du CP combiné avec l'article 63 du CP à payer une amende pénale de 5 000 000 lei. »

46.  Le 19 février 2002, le requérant paya l'amende pénale. Le 5 août 2002, le requérant versa la somme due au titre des dommages-intérêts à l'avocat de A.P.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Le droit et la pratique internes pertinents

47.  Les dispositions du code de procédure pénale régissant l'étendue de la compétence des tribunaux statuant à la suite d'un recours, telles qu'en vigueur à l'époque des faits, ainsi que les modifications qui leurs ont été apportées par la loi no 356 du 21 juillet 2006, sont décrites dans l'affaire Mihaiu c. Roumanie, (no 42512/02, §§ 21 et 22, 4 novembre 2008).

48.  En ce qui concerne l'accès aux dossiers appartenant aux services secrets et au dévoilement de l'ancienne police politique, la réglementation interne pertinente, à savoir la loi no 187/1999, est décrite dans l'arrêt Rotaru c. Roumanie ([GC], no 28341/95, § 31-32, CEDH 2000‑V) et dans l'arrêt Petrina c. Roumanie (no 78060/01, §§ 17-18, 14 octobre 2008).

49.  Les dispositions pertinentes du code pénal roumain en matière de diffamation, telles qu'en vigueur à l'époque des faits, et les changements législatifs ultérieurs sont décrits dans l'arrêt Boldea c. Roumanie (no 19997/02, § 16-18, CEDH 2007‑... (extraits)).

50.  L'article 63 § 2 du code pénal, en vigueur à l'époque des faits, prévoyait que le maximum de l'amende pénale prévue pour l'infraction de diffamation était de 30 000 000 ROL.

51.  Par une décision no 62/2007 du 18 janvier 2007, publiée au Journal officiel no 104 du 12 février 2007 la Cour constitutionnelle roumaine déclara inconstitutionnelle la loi d'abrogation des articles 205 à 207 du code pénal incriminant l'insulte et la diffamation, au motif que la réputation des personnes, telle que garantie par la Constitution, devait être protégée nécessairement par des sanctions de droit pénal.

B.  Les rapports annuels du Conseil national pour l'étude des archives de la Securitate

52.  Le premier rapport concernant l'activité du CNSAS pendant la période du 13 mars 2000 au 31 mai 2002, publié en 2002, en vertu de l'article 7 de la loi no 187/1999, exposait dans son préambule les difficultés apparues dans son fonctionnement, dont notamment l'impossibilité d'accès direct aux archives, lesquelles étaient entre les mains des services secrets réticents à les remettre. Ce préambule était ainsi rédigé :

« L'accès aux dossiers personnels créés par l'ancienne Securitate au sujet des citoyens roumains est un thème qui a préoccupé l'opinion publique et les milieux politiques à partir de décembre 1989.

Dix ans se sont écoulés depuis le moment où le sujet a commencé à être débattu jusqu'à la promulgation de la loi no 187/1999. Quatre mois de plus ont été nécessaires pour que le Parlement de Roumanie arrive à voter sur la composition du collège du CNSAS, et un an encore jusqu'à ce qu'un bâtiment soit loué pour en être le siège. A cela s'ajoute le fait que la loi no 187/1999 a été finalement le résultat des négociations à l'issue desquelles le texte initial a souffert de nombreux amendements affectant la cohérence de l'acte législatif dans son ensemble, ce qui a marqué la période du début de l'activité du CNSAS, période qui fait l'objet du présent rapport.

Un moment significatif des deux premières années d'activité a été le déménagement du CNSAS dans un siège qui lui était propre et la signature d'un protocole additionnel de collaboration avec le SRI, lequel a permis le commencement effectif du transfert des archives de l'ancienne Securitate vers le CNSAS et la réalisation d'un objectif majeur de la loi, à savoir l'accès des individus à leur dossier personnel.

La difficulté principale (...) a résidé dans le fait de travailler sous la pression du temps et de l'opinion publique, ce qui peut s'expliquer, certainement, par les dix ans de retard que nous avons par rapport à la Commission Gauck d'Allemagne, par exemple. De même, le fait que le fonds du CNSAS se constitue à partir des dossiers que les archives SRI transfèrent et non par le prélèvement in situ de ces archives est un facteur essentiel. »

53.  Ce premier rapport mentionnait que le Service roumain de renseignements avait remis au CNSAS, pendant la période pertinente, 3 573 dossiers individuels. Le service de renseignements externes lui avait remis 65 dossiers et les tribunaux militaires 14. Le 31 mai 2002, les archives du CNSAS comprenaient, au total, 3 652 dossiers individuels.

54.  Selon le dernier rapport annuel du CNSAS, publié en 2008, le Service roumain de renseignements avait remis au CNSAS en 2007 15 500 dossiers. La même année, le ministère de la Justice avait également remis 104 907 dossiers classés auparavant dans les archives des tribunaux militaires de Bucarest, Timişoara, Iaşi et Cluj.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

55.  Le requérant se plaint de ce que sa condamnation pénale du 29 octobre 2001 par le tribunal départemental de Bucarest sans qu'il ait été entendu en personne a enfreint son droit à un procès équitable. Il cite l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

56.  Le Gouvernement conteste cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

57.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

58.  Le requérant relève que, contrairement aux dispositions du code de procédure pénale (« CPP »), le tribunal départemental de Bucarest, la première juridiction le condamnant à une peine pénale, ne l'a pas entendu et ne lui a pas donné la parole en dernier. Dès lors, il n'pas eu l'occasion de préciser la portée de ses propos tenus lors de la conférence de presse du 20 février 2001 ni de rectifier ce qui avait pu être retenu de manière erronée – notamment le mode et le temps verbal utilisé dans son discours. En effet, le requérant allègue avoir utilisé, lors de sa conférence de presse, le conditionnel dans la phrase « Pourquoi M. [A.P.] (...) aurait-il collaboré avec la Securitate ? » et non pas l'indicatif, « avait-il collaboré », comme retenu par le tribunal de première instance. Il note enfin que selon les dispositions du code de procédure pénale, le fait de donner la parole à l'accusé en dernier n'est pas un acte de procédure facultatif, n'étant pas laissé à la latitude du tribunal ou même de l'accusé.

59.  Le Gouvernement considère qu'en examinant l'accusation pénale portée contre le requérant, les juridictions nationales ont pleinement respecté les garanties d'indépendance, d'impartialité, de publicité et d'égalité des armes. A cet égard, il souligne qu'en l'espèce, le requérant a été entendu par le tribunal de première instance, sa déposition écrite étant versée au dossier. Par ailleurs, son avocat a défendu sa cause lors de la procédure de recours. En outre, le requérant a eu la possibilité de verser au dossier les moyens de preuve qu'il estimait pertinents pour défendre sa cause. Par ailleurs, l'intéressé n'a pas sollicité lors de la procédure de recours l'instruction de nouvelles preuves.

60.  Le Gouvernement souligne ensuite que le tribunal départemental de Bucarest s'est rallié dans sa décision à l'interprétation des preuves et à la motivation du tribunal de première instance. Le tribunal départemental n'a fait que requalifier de diffamatoires les affirmations imputées au requérant. Le Gouvernement note également que le tribunal départemental n'a pas fondé sa décision uniquement ou dans une mesure déterminante sur la déposition du requérant, mais sur l'ensemble des pièces du dossier.

61.  En outre, le Gouvernement rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, il appartient en principe aux juridictions nationales d'apprécier les éléments rassemblés par elles et la pertinence de ceux dont les accusés souhaitent la production, et que le caractère équitable d'une procédure doit être analysé en tenant compte de l'ensemble de celle-ci. Il attire l'attention sur les dernières modifications du CPP qui enjoignent aux juridictions statuant en recours d'entendre l'accusé.

2.  Appréciation de la Cour

62.  La Cour rappelle que les modalités d'application de l'article 6 aux procédures d'appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s'agit ; il convient de tenir compte de l'ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d'appel dans l'ordre juridique national. Lorsqu'une audience publique a eu lieu en première instance, l'absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d'appel interne, à l'étendue des pouvoirs de la juridiction d'appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant elle, et notamment à la nature des questions qu'elle avait à trancher (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I).

63.  Devant une cour d'appel jouissant de la plénitude de juridiction, l'article 6 ne garantit pas nécessairement le droit à une audience publique ni, si une telle audience a lieu, celui d'assister en personne aux débats (Fejde c. Suède, 29 octobre 1991, § 33, série A no 212‑C).

64.  En revanche, la Cour a déclaré que lorsqu'une instance d'appel est amenée à connaître d'une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l'innocence, elle ne peut, pour des motifs d'équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne par l'accusé qui soutient qu'il n'a pas commis l'acte tenu pour une infraction pénale (Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134 et Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000‑VIII).

65.  En l'espèce, la Cour observe d'emblée qu'il n'est pas contesté que le requérant a été condamné par le tribunal départemental de Bucarest sans avoir été entendu en personne (paragraphe 43 ci-dessus). Dès lors, afin de déterminer s'il y a eu violation de l'article 6 de la Convention, il échet d'examiner le rôle du tribunal départemental et la nature des questions dont il avait à connaître.

66.  La Cour rappelle qu'en l'espèce l'étendue des pouvoirs du tribunal départemental de Bucarest, en tant qu'instance de recours, est définie dans les articles 38515 et 38516 du code de procédure pénale. Conformément à l'article 38515, le tribunal départemental, en tant qu'instance de recours, n'était pas tenu de rendre un nouveau jugement sur le fond, mais il en avait la possibilité et c'est ce qu'il a fait. Par son arrêt du 29 octobre 2001, le tribunal départemental de Bucarest annula la décision du 13 juillet 2001 et rendit un nouveau jugement sur le fond. Selon les dispositions légales précitées, en statuant à nouveau sur le fond, le tribunal départemental de Bucarest agissait en plénitude de juridiction et était amené à connaître tant des faits de la cause que du droit. Le tribunal départemental pouvait décider, soit de confirmer l'acquittement du requérant, soit de le déclarer coupable, après s'être livré à une appréciation complète de la question de la culpabilité ou de l'innocence de l'intéressé, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve.

67.  En l'occurrence, la Cour note qu'après avoir infirmé l'acquittement prononcé en première instance, le tribunal départemental de Bucarest a statué sur le bien-fondé de l'accusation dirigée contre le requérant, en le reconnaissant coupable de diffamation, sans qu'il soit entendu personnellement, et ce bien qu'il fût présent à l'audience. De plus, tel que cela ressort du dossier, le tribunal a omis également de lui donner la parole en dernier (a contrario Constantinescu, précité, §§ 27 et 58). Or, de l'avis de la Cour, afin de rendre son arrêt, le tribunal départemental ne s'est pas limité à effectuer une interprétation différente en droit à celle du tribunal de première instance quant à un ensemble d'éléments objectifs, mais a effectué une nouvelle appréciation des faits estimés prouvés en première instance et les a reconsidérés, question qui s'étend au-delà des considérations strictement juridiques (mutatis mutandis, Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 36, 10 mars 2009). En effet, les aspects de l'affaire que le tribunal départemental a dû analyser pour se prononcer sur la culpabilité du requérant avaient un caractère factuel étant donné qu'il a réexaminé l'existence des éléments constitutifs de l'infraction de diffamation (paragraphe 45 ci-dessus).

68.  La Cour note qu'en l'occurrence, le Gouvernement ne soutient pas qu'il y a eu renonciation du requérant à son droit d'être entendu en personne (Calmanovici c. Roumanie, no 42250/02, § 108, 1 juillet 2008 et mutatis mutandis, Botten précité, § 53). Par conséquent, elle estime que la juridiction de recours était tenue de prendre des mesures positives afin d'entendre le requérant lors de l'audience, même si l'intéressé ne l'avait pas sollicité expressément (Dănilă c. Roumanie, no 53897/00, § 41, 8 mars 2007, Spînu c. Roumanie, no 32030/02, § 58, 29 avril 2008 et mutatis mutandis, Botten précité § 53), ou au moins de lui donner la possibilité de corroborer ou de compléter, le cas échéant, les conclusions de son avocat. La Cour rappelle également que, si le droit de l'accusé à parler le dernier revêt une importance certaine, il ne saurait se confondre avec son droit d'être entendu, pendant les débats, par un tribunal (Constantinescu, précité, § 58 in fine).

69.  Dans ce contexte, la Cour estime que le fait pour le requérant d'avoir été entendu par le tribunal de première instance n'exonérait pas le tribunal départemental de l'obligation de l'entendre, et ce d'autant plus que le tribunal de première instance l'avait relaxé. De surcroît, la Cour relève également qu'il ne pouvait pas être reproché au requérant un manque d'intérêt pour le procès, alors qu'il avait assisté aux audiences devant le tribunal de première instance devant lequel il avait déposé et devant le tribunal départemental (voir les paragraphes 22 et 43 ci-dessus et a contrario, Ivanciuc c. Roumanie (déc.), no 18624/03, 8 septembre 2005).

70.  Dès lors, la Cour estime que la condamnation du requérant, prononcée sans qu'il ait été entendu en personne et surtout après son acquittement par le tribunal de première instance (voir, parmi d'autres, Mircea c. Roumanie, no 41250/02, § 54, 29 mars 2007), est contraire aux exigences d'un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

Partant, il y a eu violation de cette disposition.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

71.  Le requérant allègue que sa condamnation pénale et civile par la décision du 29 octobre 2001 du tribunal départemental de Bucarest représente une ingérence disproportionnée dans sa liberté d'expression et non nécessaire dans une société démocratique. Il invoque l'article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

2.  L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

72.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

73.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

74.  Le requérant considère que sa condamnation pénale et civile pour diffamation constitue une ingérence dans son droit à la liberté d'expression qui ne répond pas à un besoin social impérieux. Il allègue qu'il avait légitimement exercé son droit à la liberté d'expression en prononçant le discours incriminé, en exprimant son appréciation subjective des faits et des apparences, en formulant des jugements de valeur et non des certitudes quant à la position de A.P. sur la question du dévoilement de l'ancienne police politique, et en se fondant sur une base factuelle suffisante. Il relève à cet égard que son discours a été décent et de bonne foi.

75.  Le requérant estime ensuite que les raisons fournies par les autorités nationales pour justifier l'ingérence n'étaient pas pertinentes et suffisantes. Il note ainsi que le tribunal départemental de Bucarest a fondé sa décision sur la fonction publique de A.P., membre du collège du CNSAS et secrétaire d'État. Or, selon le requérant, c'est précisément ce statut qui permettait une critique plus large à l'adresse de A.P. Le requérant souligne également l'intérêt public particulièrement vif du débat qui portait sur les conditions exigées par la loi pour devenir membre du CNSAS et le respect de ces exigences par les membres dudit collège. Le requérant argue que ses affirmations partaient du fait démontré que, parfois, les institutions de l'État avaient rendu des décisions contraires à la loi. Il considère que le fait que ses propos ont été repris de manière tronquée par la presse, ne peut pas entraîner sa responsabilité civile et pénale.

76.  Le requérant souligne enfin que la somme qu'il a dû verser à A.P. pour dommage moral cumulée avec l'amende pénale représentait, à l'époque des faits, plus de trente fois le salaire mensuel minimum.

77.  Le Gouvernement admet que l'arrêt du 29 octobre 2001 du tribunal départemental de Bucarest pourrait être interprété comme une ingérence dans le droit du requérant à sa liberté d'expression. Néanmoins, il estime qu'il s'agit d'une ingérence prévue par la loi, à savoir l'article 206 du code pénal pour la condamnation pénale et les articles 998 et 999 du code civil pour la condamnation civile. En outre, la condamnation avait un but légitime, à savoir la protection de la réputation d'autrui, en l'occurrence celle de A.P., qui occupait une fonction publique importante.

78.  Pour ce qui est de la nécessité de cette ingérence dans une société démocratique, le Gouvernement remarque d'abord que les affirmations incriminées du requérant ont été faites lors d'une conférence de presse et qu'elles ont été reprises par plusieurs journaux. Il estime que le discours du requérant avait un caractère tendancieux, alors que l'intéressé connaissait la réalité des vérifications auxquelles A.P. avait été soumis afin d'accéder à ses fonctions. Il note de surcroît que bien que le requérant ait nommé D.P. pour étayer certains de ses propos, ce dernier a nié ces allégations dans une déclaration extrajudiciaire versée au dossier par A.P.

79.  Le Gouvernement estime ensuite que les propos du requérant, dans leur ensemble, refermaient des imputations de fait, dépourvues de toute base factuelle. A cet égard, il rappelle que, comme l'a indiqué d'ailleurs le tribunal de première instance lui-même, le discours du requérant a connu une large couverture médiatique, de nature à léser la dignité, le prestige et le droit à l'image de A.P. Or, dans la mesure où le requérant a franchi les limites de la critique admissible à l'égard des fonctionnaires, le Gouvernement est d'avis que la marge d'appréciation dont disposent les États n'a pas été dépassée. Il estime également que les motifs invoqués par les juridictions nationales étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l'article 10. Le Gouvernement fait en outre valoir que le requérant a été condamné au paiement de sommes peu importantes par rapport à celles retenues dans des affaires où la Cour a constaté une violation de la liberté d'expression.

2.  Appréciation de la Cour

80.  La Cour estime que la condamnation litigieuse s'analyse en une « ingérence » dans l'exercice par le requérant de son droit à la liberté d'expression. Pareille immixtion enfreint l'article 10 de la Convention, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou plusieurs des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de l'article 10 et « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre.

a.  « Prévue par la loi »

81.  La Cour note que le tribunal départemental de Bucarest s'est fondé, afin d'aboutir à la condamnation du requérant, sur l'article 206 du code pénal incriminant la diffamation, et sur l'article 998 du code civil régissant la responsabilité civile délictuelle. L'ingérence était dès lors « prévue par la loi ».

b.  «  But légitime »

82.  La Cour note que l'ingérence litigieuse poursuivait un but légitime au regard de l'article 10 § 2 de la Convention, à savoir la protection de la réputation d'autrui, en l'occurrence celle de A.P., connu comme homme de culture, ancien ministre de la Culture et des Affaires étrangères et ancien membre du collège du CNSAS.

c.  « Nécessaire dans une société démocratique »

83.  Il reste à la Cour à rechercher si cette ingérence était « nécessaire » dans une société démocratique afin d'atteindre le but légitime poursuivi. Elle renvoie à cet égard aux principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence en la matière (voir, parmi de nombreux autres, Tourancheau et July c. France, no 53886/00, §§ 64 à 68, 24 novembre 2005, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], nos 21279/02 et 36448/02, §§ 45 et 46, CEDH 2007‑XI, et July et Sarl Libération c. France, no 20893/03, CEDH 2008-... (extraits), §§ 60 à 64).

84.  Dans l'exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour n'a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l'angle de l'article 10 les décisions qu'elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d'appréciation. Il ne s'ensuit pas qu'elle doive se borner à rechercher si l'État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable ; il lui faut considérer l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire, y compris la teneur des propos reprochés au requérant et le contexte dans lequel celui-ci les a tenus (News Verlags GmbH & Co. KG c. Autriche, n31457/96, § 52, CEDH 2000-I).

85.  En particulier, il incombe à la Cour de déterminer si les motifs invoqués par les autorités nationales pour justifier l'ingérence apparaissent « pertinents et suffisants » et si la mesure incriminée était « proportionnée aux buts légitimes poursuivis » (Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 70, CEDH 2004‑VI). Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents, appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l'article 10 (Zana c. Turquie, 25 novembre 1997, § 51, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VII et Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 171, 15 décembre 2005).

86.  La Cour doit par ailleurs vérifier si les autorités internes ont ménagé un juste équilibre entre, d'une part, la protection de la liberté d'expression, consacrée par l'article 10, et, d'autre part, celle du droit à la réputation des personnes mises en cause qui, en tant qu'élément de la vie privée, se trouve protégé par l'article 8 de la Convention (Chauvy et autres précité, § 70 in fine). Cette dernière disposition peut nécessiter l'adoption de mesures positives propres à garantir le respect effectif de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (Von Hannover c. Allemagne, no 59320/00, § 57, CEDH 2004-VI et Petrina c. Roumanie, no 78060/01, § 35, 14 octobre 2008).

87.  En l'espèce, tout en remarquant la qualité de chroniqueur du requérant – sans que le journalisme soit sa profession – et sa qualité de militant des droits de l'homme, la Cour rappelle qu'en raison des « devoirs et responsabilités » inhérents à l'exercice de la liberté d'expression, la protection offerte par l'article 10 de la Convention aux personnes qui, comme le requérant, s'engagent dans le débat public, est subordonnée à la condition que l'intéressé agit de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit (Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 37, Recueil des arrêts et décisions 2004-II et Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/03, § 65, CEDH 1999-III). Néanmoins, il leur est permis de recourir à une certaine dose d'exagération, voire de provocation (Mamère c. France, no 12697/03, § 25, CEDH 2006‑XIII).

88.  La Cour note que, dans la présente affaire, le tribunal départemental de Bucarest a considéré qu'au travers des propos litigieux tenus lors d'une conférence de presse, le requérant avait exposé A.P. au mépris public et à des possibles sanctions, compte tenu de ses fonctions. Il convient donc d'examiner, en tenant compte des principes susmentionnés, si les motifs avancés par le tribunal départemental de Bucarest pour justifier la condamnation de l'intéressé étaient « pertinents et suffisants ».

89.  La Cour rappelle à ce titre que l'article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou des questions d'intérêt général (Sürek c. Turquie (no 1) [GC], no 26682/95, § 61, CEDH 1999-IV). Ainsi, elle doit tenir compte de l'ensemble du contexte dans lequel les propos litigieux ont été formulés (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège précité, § 62).

90.  La Cour relève d'emblé que le discours incriminé du requérant s'inscrivait dans le contexte particulier d'un débat d'ordre national portant sur un thème d'intérêt général et particulièrement sensible. Il visait l'application de la loi no 187/1999 relative à l'accès des citoyens à leur dossier personnel tenu par la Securitate et visant à démasquer le caractère de police politique de cette organisation, ainsi que l'inefficacité de l'activité du CNSAS. Dans ce contexte, le requérant a exprimé des soupçons de collaboration avec la Securitate à l'égard de A.P., figure publique très connue en Roumanie.

91.  La Cour rappelle que, s'il n'est pas exact que les personnes publiques s'exposent sciemment à un contrôle attentif de leurs faits et gestes exactement comme les hommes politiques (Janowski c. Pologne [GC], no 25716/94, § 33, CEDH 1999‑I), il n'en reste pas moins que les limites de la critique admissible sont plus larges lorsqu'ils agissent dans l'exercice de leurs fonctions officielles que pour les simples particuliers (Mamère précité, § 27). En l'espèce, les propos litigieux visaient A.P., personnalité publique et médiatique, en sa qualité de membre du CNSAS (a contrario Petrina précité, § 46). Or, de l'avis de la Cour, l'intérêt général porté sur l'adoption de la loi no 187/1999 et sur son application par le CNSAS, était de nature à justifier le débat public sur le point de savoir si les membres de cet organisme remplissaient les critères requis par la loi pour occuper une telle position.

92.  Il convient ensuite de rappeler la jurisprudence désormais bien établie de la Cour selon laquelle il y a lieu, pour apprécier l'existence d'un « besoin social impérieux » propre à justifier une ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression, de distinguer avec soin entre faits et jugements de valeur. Si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I et Harlanova c. Lettonie (déc.), no 57313/00, 3 avril 2003). Certes, lorsqu'il s'agit d'allégations sur la conduite d'un tiers, il peut parfois s'avérer difficile, de distinguer entre imputations de fait et jugements de valeur. Il n'en reste pas moins que même un jugement de valeur peut se révéler excessif s'il est totalement dépourvu de base factuelle (Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, § 43, CEDH 2001-II).

93.  En l'occurrence, lorsqu'on examine les affirmations litigieuses à la lumière du discours du requérant dans son ensemble, on se trouve en présence d'un mélange de jugements de valeur et de certains éléments factuels.

94.  La Cour constate que le requérant avait averti le public qu'il exprimait ses doutes, qu'il faisait une appréciation subjective des faits et des apparences relatifs à la position de A.P. sur la question du dévoilement de l'ancienne police politique. Les propos exprimés n'étaient pas présentés comme des certitudes (a contrario Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 100, CEDH 2004‑XI et Petrina précité, § 44), mais comme des soupçons, en attendant que le recours offert par la loi no 187/1999 – qui était le thème principal de son discours – devienne efficace quant à l'accès du public aux dossiers de l'ancienne Securitate et permette de vérifier ces soupçons. De plus, le requérant a justifié ses soupçons en faisant référence au comportement de A.P. et à des faits, comme, par exemple, son appartenance au mouvement de méditation transcendantale et à la manière d'agir des agents de la Securitate, dont la réalité n'a pas été contestée. Force est de noter que le certificat attestant que A.P. n'avait pas collaboré avec la Securitate n'a été produit qu'après la conférence de presse organisée par le requérant (paragraphe 30 ci-dessus). Dans ce contexte, la Cour estime que le requérant a agi de bonne foi, le but de la conférence ayant été d'informer le public sur un sujet d'intérêt général (a contrario Mihaiu précité, § 67).

95.  Qui plus est, la Cour constate qu'il s'agissait d'assertions orales prononcées lors d'une conférence de presse, ce qui a ôté la possibilité au requérant de les reformuler, de les parfaire ou de les retirer (voir, mutatis mutandis, Fuentes Bobo c. Espagne, arrêt du 29 février 2000, no 39293/98, § 46, et Boldea précité, § 58). A cet égard, il convient de souligner que le requérant a tenu à préciser qu'il avait utilisé la forme conditionnelle et non l'indicatif comme l'avait repris les medias et le tribunal de première instance (paragraphes 19 et 20 ci-dessus).

96.  La Cour estime ensuite que la bonne foi du requérant est également attestée par sa participation à la procédure pénale dirigée contre lui (a contrario, Ivanciuc précité). La Cour note que l'intéressé a fait preuve d'intérêt pour son procès en se présentant aux audiences devant le tribunal de première instance et devant le tribunal départemental. Il a pu ainsi être entendu en personne par le tribunal de première instance, déposer des conclusions écrites et produire, à tous les stades de la procédure, des éléments de preuve susceptibles d'étayer ses allégations (a contrario, Cumpănă et Mazăre, précité, § 104, Stângu et Scutelnicu c. Roumanie, 31 janvier 2006, no 53899/00, § 51 et Petrina précité, § 50).

97.  Cela dit, il est essentiel, pour protéger les intérêts concurrents que représentent la liberté d'expression et la liberté des débats, qu'une procédure équitable soit dans une certaine mesure assurée (Steel et Morris c. Royaume-Uni, no 68416/01, § 95, CEDH 2005‑II). Dans la présente affaire, la Cour a déjà constaté que le requérant n'a pas bénéficié d'un procès équitable, au mépris de l'article 6 § 1, dans la mesure où il a été condamné sans avoir été entendu en personne par le tribunal qui a établi sa culpabilité. De plus, en cassant ce jugement pour condamner le requérant au pénal et au civil, le tribunal départemental n'a porté aucune attention au contexte dans lequel les propos en cause avaient été tenus ou aux intérêts en jeu (mutatis mutandis, Desjardin c. France, no 22567/03, §§ 39 et 46, 22 novembre 2007), ni au fait que l'intéressé avait été relaxé en première instance.

98.  Dans ces conditions, il ne saurait être affirmé que le tribunal départemental a fourni des motifs « pertinents et suffisants » pour conclure que le requérant avait porté atteinte à la réputation de A.P. et pour le condamner.

99.  S'agissant de la proportionnalité de l'atteinte au droit à la liberté d'expression, le Cour rappelle que la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération (Cumpănă et Mazăre c. Roumanie précité, § 111, et Brunet-Lecomte et autres c. France, no 42117/04, § 51, 5 février 2009).

100.  A cet égard, il convient de rappeler que si les États contractants ont la faculté, voire le devoir, de réglementer l'exercice de la liberté d'expression de manière à assurer une protection adéquate par la loi de la réputation des individus, ils doivent éviter ce faisant d'adopter des mesures propres à dissuader les médias et les formateurs d'opinion de remplir leur rôle d'alerte du public sur des questions présentant un intérêt général – telles les relations des personnalités publiques avec l'ancien régime répressif d'avant 1989. La Cour remarque ainsi le montant particulièrement élevé des dommages-intérêts lequel représentait plus de quinze fois le montant du salaire moyen à l'époque des faits.

101.  Eu égard à ce qui précède, et tout particulièrement à l'importance du débat d'intérêt général dans le cadre duquel les propos litigieux s'inscrivaient, la Cour considère que l'ingérence dans la liberté d'expression du requérant n'a pas été, en l'espèce, justifiée par des raisons pertinentes et suffisantes. Dès lors, l'ingérence ne saurait passer pour proportionnée, et donc pour « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l'article 10 de la Convention.

Partant, il y a eu violation de cette disposition.

III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

102.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

103.  Le requérant réclame 5 500 RON au titre du préjudice matériel, somme qui représente le montant de l'amende pénale et du dommage moral payé à la partie lésée à la suite de sa condamnation. Il estime que cette somme doit être réévaluée en prenant en compte l'évolution du salaire moyen entre la date du payement de ces sommes (2002) et 2009. Il réclame également 5 000 EUR au titre du préjudice moral qu'il aurait subi.

104.  Le Gouvernement estime que les sommes payées par le requérant à la suite de sa condamnation doivent être réévaluées en tenant compte des méthodes de réévaluations proposée par l'Institut national de statistique. Ainsi, il estime que les sommes réactualisées est de 2 222 EUR. Il estime également que le lien de causalité entre le préjudice moral invoqué et la somme sollicitée à ce titre n'a pas été prouvé et, qu'un éventuel arrêt de condamnation pourrait constituer, par lui-même, une réparation suffisante du préjudice moral prétendument subi par le requérant.

105.  La Cour observe que la base à retenir pour l'octroi d'une satisfaction équitable réside, en l'espèce, dans le fait que le requérant n'a pas bénéficié d'une procédure équitable et dans l'ingérence disproportionnée qu'il a subie dans son droit à la liberté d'expression, à raison de sa condamnation pour diffamation. Elle constate que le requérant a payé tant l'amende pénale que les dommages-intérêts infligés à la suite de sa condamnation pénale (a contrario, Anghel c. Roumanie, no 28183/03, § 78, 4 octobre 2007). Dès lors, compte tenu de l'ensemble des éléments soumis par les parties sur ce point, elle estime qu'il convient d'accorder au requérant 3 500 EUR au titre du préjudice matériel.

106.  En outre, la Cour estime que le requérant a subi un tort moral indéniable. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, il y a lieu de lui octroyer 5 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

107.  Le requérant demande également 38 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 5 000 RON, soit environ 1180 EUR pour ceux engagés devant la Cour. Il fournit des justificatifs pour une partie de ces sommes.

108.  Le Gouvernement note le requérant n'a versé au dossier qu'un justificatif pour la somme de 5 000 RON.

109.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 180 EUR tous frais confondus et l'accorde au requérant.

C.  Intérêts moratoires

110.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

 

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

 

3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention ;

 

4.  Dit

a)  que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) pour préjudice matériel, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour préjudice moral et 1 180 EUR (mille cent quatre-vingt euros) pour les frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 juin 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

       Santiago Quesada                                                           Josep Casadevall
               Greffier                                                                         Président

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